Chapitre 17 - La peinture abandonnée

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Comme je n'avais nulle part où aller, mes pas me ramenèrent à la maison de Galliem. Le soleil était finalement bien plus éclatant qu'un midi sur Terremeda, cette bicoque me dévoilait donc tous ses charmes, à mesure que je m'en rapprochais. Les pierres rugueuses des murs avaient l'air de se fuir les unes les autres. Son toit, recouvert d'un début de crépi grisâtre, semblait humblement s'aplatir devant les imposants dômes des casernes et les hautes tours du château. Cet endroit respirait la rivalité architecturale ; je ne comprenais pas comment ce pauvre mur circulaire, cette anomalie discordante si facile à faire disparaître, pouvait survivre ici sans susciter de vives contestations.

Je trouvai la porte encore entrouverte de notre départ précipité. Une poutre, entourée d'un mortier primitif, m'obligea à baisser la tête pour rentrer.

Découvrir l'intérieur de jour fut une plus grande surprise que ce à quoi je m'attendais. Les murs, de trois bons mètre de haut, étaient lisses, les deux petites fenêtres, bordées de bois vernis, correctement encastrées, comme celles de ma maison Terremedienne. Au sol s'étalait un épais tapis, carmin et brodé de doré, qui partait s'échouer sous une commode en bois. Mais sa somptuosité ne me fis pas baisser la garde. Ayant découvert les habitudes de Galliem, il devait être aussi sale que ce que je redoutais. Je m'avançai sur la pointe des pieds dans la pièce, l'œil attentif aux reflets d'un crachat un peu trop récent.

Prudemment, je contournai le hamac en toile de jute, pendant au centre sous un tas de bougies. L'ensemble de la maison paraissait finalement assez modeste, si on exceptait le tapis et un miroir doré, posé négligemment par terre contre un mur. « Il faudra quand même qu'on m'explique comment tout ça a pu se retrouver dans les nuages. » Je rajoutai cette question à une liste mentale, déjà très longue.

J'atteignis mon lit, dont les draps encore tièdes m'appelaient à terminer ma nuit. Je m'allongeai de tout mon long et, peu de temps après, le noir remplaça la lumière éclatante des fenêtres.


« Je te hais ! » criait une voix, lointaine.

La hargne perçait chacun de ses mots. Elle venait se loger dans chaque recoin de ma tête, serrer mon cœur, insidieusement, puissamment, et toujours davantage.

« Je te... »


Des crampes d'estomac m'obligèrent à ouvrir les yeux. Une phrase que je pensais pourtant entendre s'évapora de mon esprit embrumé. Nom d'un nuage, j'avais bien dormi, mais qu'est-ce que j'avais faim. Je grommelai en me redressant. 

Les meubles de la pièce étaient flous. Le panier de fruits, qui trônait sur la commode, beaucoup moins. Après quelques pas maladroits, je croquais dans ma première pomme des nuages, fade et juteuse. Emile et Jeanne auraient pu la mastiquer sans leurs dentiers. Mais ce fut en dégustant ma trouvaille que je remarquai soudain un détail, qui me coupa presque autant l'appétit qu'un amas de salive aurait pu le faire.

A la frontière entre la commode et le tapis, je remarquai un attroupement de bibelots. Un attroupement suspect, qui sentit la tentative de rangement sans grande motivation. Laissant ma pomme, je me penchai sous le meuble, pour confirmer cette impression. 

Et Galliem franchit un nouveau cap dans ce que j'avais pressenti chez lui : un manque affolant de rigueur. Des sifflets rouillés, des colliers poussiéreux, des cordelettes effilochées, des morceaux de poterie... A l'abris des regards vivait une véritable décharge.

Un petit peu à l'écart de ce capharnaüm, plus loin sous le meuble, je discernai même un bout de parchemin. J'avais très peu remarqué ce matériau jusqu'à présent, hormis dans le bureau du Colonel. Ce qui était rare était précieux ; je m'en saisis immédiatement, pour, à défaut de l'utiliser, au moins le poser sur le meuble.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant