Chapitre 20 - Le deuxième premier jour

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J'étais debout sur l'esplanade avant même le lever du soleil.

J'avais soigneusement lavé mon uniforme avec de l'eau de la réserve de la maison. J'avais attaché mes cheveux en queue de cheval, tirée sur ma tête à m'en donner une migraine. J'avais vérifié trois fois les attaches de mes protections. 

Pour ma deuxième reprise, il pouvait pleuvoir des Migonems, le ciel pouvait s'effondrer sur nous, ça n'aurait rien changé à ma motivation. Battant le pavé sur l'esplanade vide, sans doute épiée depuis les murailles ou les tours du château, je me sentais l'âme revancharde. J'étais prête à en découdre avec n'importe quoi, ou n'importe qui.

Les autres arrivèrent au point de rendez-vous après moi. Fen, le garçon à l'anneau doré, fut le premier à me rejoindre, environ une demi-heure avant le début de l'entrainement. Il me salua d'un « Mademoiselle Walkaerys », décidément bien trop bienséant pour m'inspirer confiance.

— Bonjour, monsieur, répondis-je sombrement.

L'autre me sourit comme on sourirait à un enfant.

— Vous pouvez m'appeler Fen.

— Et toi, tu peux m'appeler Lyruan, lançai-je. Ce sera plus simple pour tout le monde.

J'avais désarçonné anneau d'or. En marmonnant piteusement qu'il ne voulait pas en prendre l'initiative, il vint se placer à côté de moi, croisa ses bras ni trop vite, ni trop lentement, puis observa la Prairie comme je le faisais. Le bleu du ciel s'étirait dans un dégradé immense, allant du sombre de la nuit à l'étincelle de l'aube. Les ombres des bâtiments, longes traînées noires et denses, étaient apparues sur l'herbe éclatante avec les premiers rayons, comme si elles avaient toujours été là.

Quelques instants plus tard, nous fûmes rejoints par Pleh. A bonne distance de nous, il passa une main maladroite dans ses cheveux courts, avec l'air de se forcer à ignorer notre présence. Dos à nous, il finit par croiser ses jambes maigres sur le sol, tandis que d'autres personnes en uniforme, d'environ notre âge, venaient compléter le groupe au compte-goutte. Nous étions une petite dizaine quand un soldat sortit une vieille montre à gousset de son plastron, typiquement Terremedienne.

— Une heure après le lever du soleil, annonça-t-il. Le caporal devrait arriver.

Bientôt l'heure... Je tournai la tête vers la caserne. Mon adrénaline monta en flèche quand mes espoirs se confirmèrent : un soldat aux cheveux bruns attachés, pas dynamique, se dirigeait vers nous. Je suivis son parcours, trépignante, mais en le reconnaissant, je sentis monter une grimace.

— Bonjour à tous, lança Trimidis d'une voix forte. Formez un rang, tous sur une même ligne, bien droits. Allez !

Son claquement de main me sortit de mes réflexions. 

Ce soldat, aujourd'hui mon supérieur, m'avait saluée et escortée en tant que sergent pas plus tard que l'avant-veille. M'avait-il remarquée ? Il n'en donnait pas l'impression.

Par réflexe, je me plaçai à côté de Fen. Le rang se forma plus rapidement que la dernière fois. Une fois que nous fûmes en place, le caporal se rapprocha de notre ligne.

Ce fut mon premier passage en revue. Enfin, le premier, sans doute, depuis bien longtemps.

— Bien, commenta le caporal au niveau du premier soldat. Ne levez pas trop le menton. Les épaules un peu plus en arrière. Bien. Bien. Bien...

Il arriva à mon niveau ; son regard tiqua une seconde.

— Bien. Bien. Vous, tête plus haute. Bien ! fit-il en revenant devant nous. Quand je dirai repos, vous pourrez vous tenir dans la position qui vous convient, en restant dignes, s'il-vous-plaît. Repos.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant