Chapitre 13 - Les rumeurs

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Lorsque Lizzie sortit le lendemain, la rumeur de l'assassinat s'était répandue comme une traînée de poudre dans tout Fort-Rijkdom.

Elle avait hésité à rester tapie dans sa chambre, avant de décider que cela ne ferait que jeter des soupçons sur elle. Elle avait à peine entrevu Ferian quelques minutes, et son assassinat n'avait aucune raison de la bouleverser outre mesure. Et puis, Clervie avait fait porter un mot pour lui proposer de la rejoindre en ville dans l'après-midi, mettant fin à ses doutes. Au Palais, elle avait vu bien des aristocrates se composer une assurance de façade, alors que leur esprit était accablé par des évènements funestes. La vie suivait son cours, et chacun portait sur son visage un masque d'indifférence.

Et en effet, en traversant les rues les plus à l'est de Faldenburg pour rejoindre la vieille ville, elle fut étonnée de voir à quel point la vie semblait normale.

Évidemment, des crieurs et des dépêches l'étourdissaient de toute part. Mais les gens se pressaient dans les allées, les barques naviguaient sur les canaux, et seules les mines troublées et les messes basses qui s'élevaient çà et là témoignaient du tragique incident qui avait eu lieu la veille.

Dans l'Oudehaven, les dockers arpentaient les quais, et l'on déchargeait les marchandises avec la même efficacité que d'ordinaire, insensibles à la nouvelle qui se bousculait sur les lèvres des plus aisés. Dans les recoins les plus pauvres de Fort-Rijkdom, des meurtres et des règlements de comptes avaient lieu presque toutes les nuits, et personne ne s'émouvait de la mort d'un riche commerçant — à Fort-Rijkdom, les hommes comme Drew Ferian étaient légion.

C'était une journée radieuse, et le soleil qui se coulait sur la ville en aurait presque été indécent, si un vent glacial n'avait pas soufflé dans les rues.

Le café, qui avait ouvert il y a peu, était bondé. L'élite de Fort-Rijkdom se pressait chaque jour dans l'édifice. C'était un lieu sombre, aux murs lambrissés et au plafond alourdi de chandeliers en verroterie, qui masquaient les fresques vives représentant des scènes de la conquête du Pays d'en Haut. Une silhouette lui fit un grand signe de la main : Clervie, qui l'attendait à une table. Lizzie la rejoignit, l'étudiant attentivement. Elle ne l'avait pas revue depuis son départ de Sint-Rosanna. Elle était toujours aussi lumineuse, irradiant de bonheur.

Lizzie mit de longues secondes à se dépêtrer de la cape doublée de fourrure qui l'enveloppait. Le climat tempéré de l'Ardrasie lui manquait déjà. Clervie l'accueillit avec un grand sourire.

— Je suis si heureuse de te voir. Ce qu'il s'est passé... Tu as entendu ?

Lizzie s'assit, et se racla la gorge. Clervie ne pouvait parler que d'une seule chose, et elle ignorait quoi dire, et quoi taire.

— Jan et moi étions chez Drew Ferian, parvint-elle à articuler.

Son amie la regarda un instant, interdite, avant de pâlir.

— Tu veux dire que tu as vu...

Lizzie acquiesça, sentant le malaise la gagner. Clervie aurait pu être à sa place, choisie par Ambroise, vouée au dieu sombre. La jeune femme aurait été assez déterminée pour réussir avec succès dans cette même tâche.

— Oh, c'est affreux ! Comment te sens-tu ?

— Aussi bien que je peux l'être après ce qu'il s'est passé, éluda-t-elle.

— Enfin, tu dois absolument essayer le chocolat chaud, Lizzie. Tu verras, c'est délicieux ! Tu n'as jamais rien dégusté de tel. Cela te fera du bien.

Clervie poussa une carafe vers elle, et Lizzie versa docilement le chocolat qu'elle contenait dans la tasse qui se trouvait devant elle.

Elle avait déjà pu goûter ce breuvage, une fois, à une réception de la Cour. Elle avait trouvé le liquide épais écœurant, plus sucré que tout ce qu'elle avait jamais pu goûter. Elle n'avait fait que tremper ses lèvres dans la boisson, avant de rendre la tasse à Ambroise, une grimace sur ses traits. Elle se souvenait de l'éclat amusé dans ses yeux, du discret rire qui lui avait échappé. Mais cela, Clervie l'ignorait. Elle ne savait rien de ses escapades au Palais avec Ambroise, rien de son entraînement. Ou peut-être s'en doutait-elle. Elle avait été là, le jour où le jeune homme l'avait choisie.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant