Chapitre 40 - Les ténèbres et le feu

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La nuit était bien avancée. Les flammes de l'âtre vacillaient sur les murs, les couleurs chaudes mêlées à la froideur des lampes à cræft. Le silence était tombé depuis longtemps. Lizzie s'était forcée à paraître dans la salon, à rejoindre Jan après le souper. Après tout, elle partait demain ; quoi de plus normal ?

Elle se serait volontiers terrée dans la chambre — non, pas là, où le fantôme de Magdalene la rattrapait sans cesse ; n'importe où ailleurs. Jan avait beau lui prodiguer des mots rassurants, des gestes d'apaisement lorsqu'elle se figeait tout à coup au milieu d'une conversation ou d'un geste... La culpabilité la hantait. Il n'y avait aucun moyen de revenir en arrière.

Et bientôt, les remords seraient plus grands encore.

Les effets de Lizzie étaient soigneusement rangés dans des coffres de toutes tailles. Elle n'avait qu'une petite cassette en partant de son royaume. Elle revenait avec plus d'affaires qu'elle n'en avait jamais possédé. Jan avait insisté pour qu'elle prenne tous ses effets. Il savait ce qui surviendrait.

Il savait que dans quelques semaines, il recevrait une lettre endeuillée du frère de son épouse. Ambroise prétexterait sûrement un naufrage, ou bien une maladie quelconque.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne garder aucune trace de sa présence.

Il ignorait simplement qu'il serait mort avant qu'elle ne prenne la mer.

— Alors, c'est votre dernière nuit au Pays d'en Haut.

Lizzie tressaillit.

— Oui.

Il y avait toujours le problème de Carlton Belvild. Son seul espoir, désormais, résidait dans le fait que l'Ardrasie riposterait. Prendrait le contrôle de Fort-Rijkdom. Sûrement, se débarrasser d'un seul homme était plus facile que d'évincer un par un chaque Haut-Régent, comme elle l'avait fait. En regagnant son royaume au plus tôt, elle pourrait les prévenir de la menace que constituait Belvild.

— Vous êtes nerveuse, fit Jan.

— C'est le voyage. Je... Je n'ai jamais aimé la mer.

Tout à coup, elle songea à leur cérémonie de mariage. À la façon dont elle s'était agrippée à lui, alors qu'ils étaient agenouillés dans les vagues glacées. Elle força un sourire pour dissiper le noeud qui serrait sa gorge.

— Il y a quelques années, il y a eu un incident durant l'un de mes entraînements.

— Un incident ?

— Je devais... tuer un homme. Un homme qui posait trop de questions. Qui en savait trop sur mon compte.

Comme vous.

Elle fixait les flammes. Incapable de croiser son regard. Elle se racla la gorge.

— Il y a un grand canal dans les jardins royaux de Caelian. C'est un endroit que l'on dit somptueux. Je n'arrive plus à le voir ainsi. Parce que... cet homme a essayé de m'y... noyer. J'ai failli y laisser la vie. Depuis ce jour, je n'ai jamais aimé l'eau. Je ne l'ai jamais dit à Ambroise. Ni à personne.

Lizzie repoussa au fond d'elle-même le souvenir de l'eau froide. Les ténèbres.

La terreur.

Et après ? Ambroise ; une lueur dans la nuit.

Jan désigna les flammes.

— Pendant longtemps, répondit-il, j'ai eu peur du feu. À cause... de ce qu'il s'est passé dans le nord, lorsque j'étais enfant. Lorsque le village de ma mère a été massacré et incendié. Je ne l'ai jamais dit à personne non plus. C'est un comble, pour quelqu'un qui est incapable d'allumer une lampe à cræft. Mais au fil des années, j'ai réussi à dépasser ma peur.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant