Prologue

465 66 31
                                    

La lumière bleutée des lampes vacilla, teintant les murs d'un air spectral.

Ambroise Auguste, vêtu de la tenue réglementaire de la maison militaire du Roi, s'avança lentement dans l'espace du réfectoire aux parois de pierre glacées. Les fillettes sagement attablées aux immenses planches de bois qui couraient d'un bout à l'autre de la pièce tressaillirent.

— Monsieur.

Il se tourna légèrement vers l'origine de la voix courtoise qui venait de s'élever, faisant cliqueter l'épée pendue à sa ceinture. Une femme d'un certain âge se tenait là, vêtue d'une robe de serge aussi grise que ses cheveux, qui lui donnait l'allure d'un fantôme. Elle avait été belle autrefois, songea Ambroise. Et son regard couleur de ciel n'avait pas perdu de son éclat et de sa force.

Il se dirigea vers elle et saisit la main qu'elle lui tendait, portant la peau parcheminée à ses lèvres pour embrasser la bague frappée de l'emblème de la Pension Royale qui sertissait son annulaire.

— Madame Constance, salua-t-il en libérant ses doigts. J'ai grand plaisir à vous voir.

— Et moi donc, mon enfant.

Elle lui adressa un tendre sourire, et Ambroise sentit son cœur se réchauffer un peu. Elle avait été comme une mère pour lui, pour tous les orphelins qui passaient en ces lieux. Voilà cinq ans qu'il avait quitté la pension pour s'enrôler dans la garde du palais avoisinant.

Il porta son attention sur les filles qui se tenaient sur les bancs au fond de la salle, leurs mains croisées sur les genoux. Elles étaient plus immobiles que des statues.

— Mesdemoiselles, s'exclama Rosemonde Constance. Saluez donc monsieur Auguste.

Dans un ensemble presque parfait, elles quittèrent les bancs et exécutèrent une révérence polie. Elles étaient une petite dizaine. Il y avait là des fillettes de tout âge, la plus jeune devait à peine avoir sept hivers, et l'aînée — Catherine, se souvenait-il — une vingtaine d'années. Elles se tinrent droites et muettes, mais Ambroise crut discerner des genoux et des mains tremblantes. Il se demanda confusément si la vue de son uniforme faisait cet effet-là à tous les individus qui croisaient sa route. Il était vrai que la lourde veste bleu nuit ornée de galons dans lequel était gainé son corps imposait le respect.

Ambroise tira un banc jusqu'au milieu de la salle, et s'y assit. Madame Constance, elle, se dirigea vers ses protégées d'un pas élégant, quoique légèrement gâté par le passage du temps. Le garde royal inspecta chaque minois tourné face à lui d'un œil critique.

— Savent-elles toutes lire ?

— Oui. Et écrire, et compter. Les plus âgées connaissent aussi l'histoire, la géographie, la littérature et les arts.

— Je le sais.

La femme eut un sourire contrit, mais Ambroise ne pouvait lui en vouloir. Il était facile d'oublier qu'il avait lui-même été élevé entre ces murs. Cette époque lui semblait si lointaine, bien qu'il ne fût parti qu'une poignée d'années plus tôt.

— Et le cræft ?

— Ce sont nos meilleurs éléments, répondit fièrement la doyenne.

Ambroise continua ses observations un court instant. Deux des orphelines fraîchement arrivées à la pension flottaient dans leurs robes austères, mais soignées, malgré tous les efforts faits pour ajuster l'étoffe à leur morphologie. Elles n'étaient pas laides, au fond, mais ne rivalisaient pas avec leurs voisines correctement nourries. Avec les bonnes attentions de madame Constance, elles s'épanouiraient certainement.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant