Chapitre 11 - Le poison

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"De toutes les cités des colonies du Pays d'en Haut, Fort-Rijkdom est sans doute la plus prospère, véritable carrefour du commerce du Nord. Située sur la côte, irriguée de multiples canaux et à l'embouchure d'un fleuve qui s'enfonce profondément dans les hinterlands, la cité a très tôt suscité les convoitises de toutes les nations des Bas-Royaumes. Tour à tour gouvernée par chacune d'entre elles, il aura fallu une entente ratifiée par l'ensemble de nos royaumes pour apaiser — quoi que cela fût un bien grand mot — les tensions."

Atlas du Pays d'en Haut





À Caelian, il se murmurait que lorsque l'on avait goûté aux fastes de la Cour et au raffinement du Palais de Lancelin Ier, le reste du monde paraissait fade. La demeure de Drew Ferian n'échappait pas à la règle. Même l'or, ici, semblait briller avec moins d'éclat.

L'édifice s'étendait tout en longueur, et les murs de la salle de réception étaient soutenus par des arcades surchargées de décors en stuc. Derrière les colonnades s'étendaient des rangées de chaises et de tables, de façon à libérer le parquet pour les danseurs, qui évoluaient au son du jeu des musiciens, relégués au fond de la salle.

Lizzie contempla la nuée de robes qui tourbillonnaient dans la salle en ce qui ressemblait fort à un menuet. Elle avait pratiqué cette danse avec Ambroise, à la Cour — c'était la danse préférée du roi, disait-on. Lizzie, elle aussi, avait toujours apprécié le menuet. Mais Jan lui avait affirmé qu'il n'aimait pas danser. Sans doute pourrait-elle trouver un cavalier.

Elle perçut des regards qui s'attardaient sur eux. Si Drew Ferian était un commerçant, la société qu'il fréquentait devait elle aussi être composée en partie de marchands, chez qui les Van Stoker étaient renommés. L'annonce de leur mariage avait dû faire grand bruit — elle, la Fille du Roi indigente, et lui, l'héritier d'un des plus grands empires de Fort-Rijkdom et d'ascendance útlende.

— Jan ! Enfin j'aperçois un visage familier !

Une silhouette se matérialisa devant eux.

— Hammond !

Un jeune homme tendit sa main vers Jan, qui la serra. Il était à peine plus âgé que lui. Grand, ses cheveux blonds encadraient un visage charismatique. Ses yeux, d'un vert d'eau profond, pétillaient d'un mélange de joie et d'intelligence, et Lizzie le trouva aussitôt sympathique.

— Hammond Trygve, un ami de Cyning Scōl. Hammond, je te présente Elisabeth.

Jan eut un geste vers Lizzie, et Hammond s'inclina.

— Toutes mes excuses pour avoir manqué votre mariage.

Il se pencha vers eux et murmura sur le ton de la confidence :

— Un bien ennuyeux congrès à Saint-Clameor.

— Hammond est médecin, expliqua Jan.

Bien. Si Lizzie avait besoin de poisons, elle saurait où s'en procurer.

— Vous plaisez-vous au Pays d'en Haut, Elisabeth ?

— Beaucoup, je vous remercie. Et je préfère être appelée Lizzie.

Comme Jan lançait une question à l'attention du médecin, Lizzie en profita pour sonder la pièce du regard. L'agitation qui y régnait, les confidences murmurées derrière les éventails, les rires discrets qui s'élevaient, les mouvements gracieux du menuet — tout cela lui rappelait la Cour, et la nostalgie serra son cœur.

La bouffée de tristesse qui l'étreignit fut rompue par une voix résonnant dans leur dos.

— Trygve. Van Stoker.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant