Chapitre 50 - Assez de courage

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La main d'Ambroise sur son dos était ferme. Il la poussait presque en avant. Il l'empêchait de se dérober. Mais Lizzie était certaine que, de loin, son geste n'avait qu'une allure galante. Les gravillons crissaient sous leurs pas.

Le Burgsæl était un bâtiment ancien, probablement presque aussi vieux que Fort-Rijkdom. Autrefois, il avait servi de lieu de réunion, lorsque les habitants se rassemblaient pour discuter des affaires de la cité. Les murs badigeonnés de chaux et soutenus de charpente prenaient une teinte grisâtre sous les éclats bleuis des lampes à cræft. Il bordait la seule place de l'Oudehaven, vers laquelle convergeaient les derniers couples ou groupes de connaissances qui se rendaient à la célébration. Toute l'élite de la ville paraissait y avoir été invitée.

Cette impression se confirma lorsqu'ils entrèrent dans le bâtiment, peuplé d'une foule de silhouettes drapées dans des étoffes somptueuses. Les boiseries incrustées d'or qui tapissaient la salle étaient percées de miroirs aux reflets étourdissants, et les lampes bleutées se reflétaient sur le sol de marbre. Elle se sentait écrasée par la magnificence du lieu.

Elle finit par aviser Jan dans le flot de convives. Elle sut qu'Ambroise l'avait vu également, car il se raidit à côté d'elle.

— Attendez, fit-elle. Je veux une danse. Maintenant.

Ambroise la dévisagea, l'air grave et maussade.

— Vous ne faites que retarder l'échéance.

— Non. Oui. Peut-être. Mais je vous demande une danse.

— Vous n'êtes pas en état.

— Je le suis. Et je veux une danse.

— Pourquoi ?

Elle laissa son regard tomber sur le saphir qui ornait son doigt.

— Vous m'aviez promis une danse, il y a longtemps. Le jour où vous m'avez offert cette bague.

La nuit où elle avait commis son premier meurtre. Et cette nuit-ci ? Ce serait la dernière fois qu'elle ferait couler le sang.

Le regard d'Ambroise étincela d'une lueur étrange.

— Tenez d'abord votre promesse.

— Je la tiendrai. Mais vous l'avez dit tout à l'heure, nous n'aurons peut-être pas la chance de nous revoir avant un moment.

Elle n'avait jamais voulu prononcer ces paroles, mais elles avaient franchi ses lèvres.

Quelque chose céda dans la posture d'Ambroise. Il ne proféra pas le moindre mot, se contenant de l'amener vers la piste.

C'était un menuet. Lizzie frissonna sous la sensation des doigts d'Ambroise contre les siens. Ce simple contact la projetait des années en arrière. Tout était simple, alors. Tout était évident. Le chemin qui s'ouvrait devant elle, et Ambroise qui l'éclairait. Désormais, elle s'était perdue dans les profondeurs des abysses, et le prix pour en sortir était si lourd.

Un, deux, trois.

Alors que les mesures s'enchaînaient, elle songea à toutes ces fois où il l'avait ainsi guidée sur les parquets et sur les marbres étincelants du Palais. Elle avait été si heureuse. Ils riaient, alors, étourdis de champagne, de musique et et de lumières.

Quatre, cinq, six.

Mais aujourd'hui, pas le moindre sourire ne fleurissait sur les lèvres d'Ambroise, et leur danse, pour fluide qu'elle fût, n'était qu'une froide illusion.

Un, deux, trois.

Il ne la quittait pas des yeux. Deux lacs ardents fixés sur elle, où une lueur brillait, une lueur indéchiffrable qui ressemblait tour à tour à de la rage incandescente et à du désespoir.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant