Chapitre 43 - La guerre ou la paix

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Il faisait froid dans le petit jardin, mais l'air matinal qui caressait son visage lui faisait du bien. Lizzie dégrafa le châle de laine qui courait sur ses épaules, laissant le vent frais glisser sur sa peau.

Le printemps serait là dans quelques jours, et des fleurs poussaient déjà. Lizzie supposait que cela avait à voir avec le cræft du jeune homme. Dans le dur climat du Pays d'en Haut, il parvenait à faire s'épanouir des variétés qui ne poussaient d'ordinaire que dans les zones les plus méridionales des Bas-Royaumes.

Jan était là, à quelques pas d'elle. Il ne l'avait pas encore regardée.

— Je réfléchissais, cette nuit, fit brusquement Jan.

S'arrachant à la contemplation des fleurs, elle coula un regard vers lui, mais il ne s'était pas retourné vers elle. Ses mains s'affairaient consciencieusement dans la terre du jardin.

— Quitter Fort-Rijkdom pourrait vous être bénéfique.

Le cœur de Lizzie se serra dans sa poitrine.

Elle en avait terriblement voulu à Hammond Trygve d'évoquer ainsi sa mort prochaine. Mais elle lui en était aussi reconnaissante. C'était une chose terrifiante que d'affronter sa fin seule.

— Si vous êtes d'accord... Lorsque le printemps sera là, j'aimerais vous emmener au nord. Il y a un endroit où je me suis rendu autrefois. Un endroit différent d'ici. Sauvage. Avec des lacs si grands que l'on croirait voir une mer, et des forêts somptueuses, des arbres et des fleurs comme vous n'en avez jamais vus, et un ciel plus grand que vous ne pouvez le rêver. Je pense que cela vous plairait. C'est paisible. Un bel endroit pour... vous reposer.

Pour mourir.

Les mots flottèrent dans le silence.

Elle ferma les yeux, tâchant d'imaginer les odeurs de sève et d'humus, les effluves douceâtres de l'eau, les couleurs vives de l'été sur la canopée

— Cela me plairait beaucoup.

Il ne la contemplait pas, les yeux rivés sur la terre. Mais elle perçut son sourire — un sourire triste.

— Vous y alliez avec votre mère ? Demanda-t-elle.

— Et avec mon père, aussi, lorsque ses affaires le lui permettaient. Nous y sommes retournés quelques fois, tous les deux. Après.

Après la mort de sa mère.

Lizzie sentit sa gorge se nouer. Elle aussi allait mourir.

Jan se tourna enfin vers elle, et sourcilla.

— Qu'y a-t-il ?

— Eh bien, vous avez... une mine...

— Oui, Fiona me l'a déjà signalé.

Lizzie, elle, n'avait pas eu le courage de se regarder dans la glace. Elle savait ce qu'elle verrait. Son visage pâle et émacié, ses joues creusées sous des yeux cernés qui avaient perdu leur éclat, et une cascade de cheveux devenus ternes. Chacun de ses reflets lui rappelait qu'elle dépérissait.

— Mes excuses.

— Jan, lorsque je ne serai plus là...

— Ne dîtes pas cela.

— Mais je vais mourir, que vous le vouliez ou non. Lorsque je ne serai plus là... vous souviendrez-vous de moi ?

— Bien sûr que je me souviendrai de vous.

— Je veux dire... Nous nous connaissons à peine. Vous m'oublierez. Et il n'y aura personne pour se souvenir de moi.

— Ne dites pas cela. Je ne vous oublierai pas. Et puis, vous avez des amis. Clervie. Hammond. Vos camarades de la Pension.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant