Chapitre 23 - Le reflet

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Lizzie émergea d'un sommeil poisseux en fin d'après-midi.

La mort de Redstig l'avait poursuivie tout au long de ses cauchemars.

L'hiver voilait le ciel d'une lumière sombre, presque nocturne. Une bougie avait été allumée, diffusant une très pâle lueur, grâce à laquelle Jan, assis sur une chaise, lisait un ouvrage. Lizzie captura son propre reflet dans le miroir, le temps d'apercevoir son visage d'une pâle extrême. Son ventre était noué, et elle prit de longues inspirations pour tenter de juguler l'étrange sensation qui meurtrissait son ventre. Tout va bien. Tout va bien. Mais rien n'allait, en vérité. Elle avait la confuse impression que le monde se délitait autour d'elle. Tout était sombre, et glacé, et elle frissonna avec violence, avant de se recroqueviller sur elle-même.

Son brusque mouvement attira le regard du jeune homme, qui se leva d'un bond.

— Vous êtes réveillée. Comment allez-vous ?

— Mieux, je crois.

Il y eut un silence. Lizzie n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait dire. Elle voulait juste dormir, encore.

— Ne bougez pas.

Il s'éclipsa, refermant soigneusement la porte derrière. Ne bougez pas. Elle ne risquait pas d'aller bien loin. Elle se sentait exténuée.

Le corps de Redstig était à nouveau là, lourd contre ses genoux, menaçant de la faire tomber. Un poids mort, aux yeux vides. L'odeur du sang agressait ses narines. Et par-dessus, des effluves douceâtres de krafjane, mêlées aux senteurs capiteuses des roses. Il y avait la fenêtre — elle devait sauter. Le vide s'ouvrait sous elle, et...

— Lizzie.

Elle eut un soubresaut. Jan se tenait posté près le lit.

— Vous vous étiez rendormie.

Ces quelques minutes n'avaient pas été plus réparatrices que les heures précédentes. Lizzie se redressa, pour constater que les bras de Jan étaient chargés d'un plateau.

— Fiona l'a préparé. Mais je me suis dit que dans votre état, il serait préférable qu'elle ne vous voie pas. Je ne pense pas qu'elle nous dérangera.

Tout en parlant, il déposa le plateau garni de victuailles sur le lit. Lizzie, en sentant les arômes du café chatouiller ses narines, se rendit compte à quel point elle avait faim.

— Vous vous êtes beaucoup agitée dans votre sommeil. Vous avez mal ?

Elle avait presque oublié sa blessure. Elle était toujours dissimulée sous le bandage de fortune. Elle bougea son bras. La douleur fulgura aussitôt, mais cela était supportable. Elle avait connu pire, à Caelian.

Elle secoua la tête.

— Vous avez fait des cauchemars, alors.

— C'est possible. Je... C'est différent, cette fois. Je ne sais pas pourquoi.

Les mots étaient sortis dans un filet de voix rauque.

— Alors, racontez-moi.

Lizzie fronça les sourcils.

— Il ne s'agit pas de curiosité de ma part, ajouta-t-il. Je n'éprouverais aucun plaisir à écouter votre sanglant récit. Mais parfois, parler... parler est la seule solution pour se sentir mieux.

Elle réalisa que Jan était toujours debout. Elle tapota les draps à côté d'elle.

— Asseyez-vous.

Après une hésitation, Jan grimpa sur le lit. Il se tint le plus éloigné d'elle possible, et elle lui en fut reconnaissante. Elle sentait toujours le poids mort de Redstig contre ses genoux. Elle aurait voulu extirper à tout jamais ce souvenir de sa mémoire. Mais cela lui était impossible.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant