Chapitre 49 - La dernière fois

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Lizzie avait revêtu une robe d'un bleu si sombre qu'il en paraissait presque noir. La fête de Werran était l'exact pendant de celle de Mercyng, et, si les festivités étaient grandiloquentes, l'on revêtait toujours des couleurs neutres. Cela arrangeait Lizzie. Si elle devait tuer Jan et Belvild, autant le faire sans avoir à se pavaner dans une tenue trop visible.

Son ventre se noua à cette pensée, et elle se concentra sur les motifs d'argent qui tapissaient l'étoffe. Des roses — discret et amer message.

Ambroise se tenait derrière elle, habillé de son uniforme de cour.

C'était lui qui avait choisi la robe.

Elle le haïssait.

— Vous êtes parfaite, chuchota-t-il en s'avançant.

Son souffle lui chatouilla la peau. Il était si près qu'il la frôlait.

Elle le haïssait.

Il attacha à son cou un discret collier de perles que Lizzie était certaine de ne pas posséder dans ses affaires. Elle fronça les sourcils, et Ambroise croisa son regard dans la psyché.

— Un présent.

Elle le remercia d'un hochement de tête. Il faisait sombre — Lizzie n'avait pas assez d'énergie pour allumer l'entièreté des lampes et elle se sentait plus à son aise dans la pénombre. Mais même cela ne masquait pas totalement ses traits exténués.

— Vous souvenez-vous du baron de Mésille ? demanda-t-il.

— Oui. J'en fais encore des cauchemars, savez-vous ?

Il ne répondit pas. Mais il devait le savoir.

Il glissa à son doigt la bague ornée d'un saphir. Cette bague qu'il avait achetée. Cette bague qu'il lui avait offerte.

— Alors vous savez ce qu'elle contient.

C'était donc cela qu'il faisait dans sa chambre le matin même. Il s'assurait qu'elle aurait toutes les armes nécessaires pour tuer Jan van Stoker. Et Carlton Belvild. Mais elle le soupçonnait aussi d'avoir voulu s'immiscer dans son intimité. Ambroise analysait tout, toujours. Elle ne doutait pas un seul instant du fait qu'il avait inspecté chaque fiole, chaque arme, chaque vêtement, pour retracer le fil de sa vie durant les derniers mois. Et elle devait l'admettre : si leurs rôles avaient été échangés, elle aurait fait la même chose.

Elle laissa son regard tomber sur le collier, errer sur la robe, puis accrocher la bague.

Ambroise s'arrogeait des droits sur sa personne qu'elle n'était pas certaine de souhaiter lui accorder. Ou peut-être que si. Au fond d'elle-même, elle ne désirait que retrouver leur complicité d'antan. Elle craignait, à présent, que la mer qui séparait le Pays d'en Haut et les Bas-Royaumes ne les eût écartés à jamais. Elle n'était plus tout à fait Lizzie Prudence ; elle n'était plus celle qu'il avait connue, et il n'était plus l'homme qu'elle connaissait.

Revenait-on jamais véritablement de là où l'on était parti ? Elle ne savait pas.

Lizzie attrapa la bourse de krafjane qu'elle avait posé sur le secrétaire. Elle en préleva un peu — Mercyng s'impatientait, et une douleur aiguë et pulsatile remontait jusqu'à son crâne.

— Arrêtez.

Lizzie se figea, son doigt couvert de poudre à quelques centimètres de sa bouche.

— Vous en avez déjà pris ce matin.

Elle haussa les épaules, évita son regard furieux, et porta son doigt à ses lèvres. L'amertume et la douceur mêlée de la krafjane envahirent sa langue. Elle avait mal. Ne le comprenait-il pas ?

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant