Chapitre 14 - Des reproches et des excuses (partie 2)

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(... suite)

Ils étaient seuls désormais, et Ambroise l'empoigna pas le coude pour l'entraîner dans le corridor. Mais ils franchirent la porte du parloir sans s'arrêter — la petite pièce, contiguë à la salle commune, était sans doute trop proche des oreilles indiscrètes. À la place, ils continuèrent le long du couloir et montèrent l'escalier qui menait aux étages. Lizzie dut se raccrocher à la rambarde de fer forgé — elle avait beau prétendre le contraire, elle était loin de s'être remise et gravir les degrés aussi vite que le faisait Ambroise était au-dessus de sa condition physique.

D'une pression de cræft, il déverrouilla la porte du bureau de madame Constance et ils s'engouffrèrent à l'intérieur. Il alluma les lampes qui s'y trouvaient, mais la lueur ne fit que marquer les ombres — terrifiantes — de son visage. À présent, Lizzie tremblait de tous ses membres. Elle aurait voulu s'asseoir sur une des chaises qui se déployaient devant le gigantesque bureau d'acajou, pour dissimuler un tant soit peu la peur qui la rongeait. Mais Ambroise ne l'invitait pas à s'installer, aussi resta-t-elle debout.

— Percival van Klaes m'a rapporté que vous ne vous étiez pas présenté à sa leçon ce matin.

Elle haussa les épaules, mais elle n'en menait pas large. Ambroise poursuivit :

— Vous ne vous êtes pas non plus donné la peine de vous présenter à notre rendez-vous.

Elle ne répondit pas, se contentant de tourner la tête pour ne pas croiser son regard — elle sentait sa colère glacée qui pesait sur elle, et une lourd pierre tomba au fond de son estomac. Envolée, la façade assurée derrière laquelle elle avait voulu se réfugier.

— Combien de temps ? fit Ambroise d'une voix sèche.

— Pa... pardon ? balbutia Lizzie, oubliant son vœu de ne plus jamais lui adresser la parole.

Mais elle fut incapable de le regarder en face, et se plongea dans la contemplation de ses mains tremblantes. Pourquoi son corps la trahissait-elle de cette façon ? Elle se concentra dans le silence qui s'écoulait, mais le tremblement ne cessa pas.

— Combien de temps allez-vous vous comporter comme... comme une... Ainsi ?

Lizzie se décomposa. Il était rare qu'Ambroise perdît ses mots.

Il était en colère. Vraiment en colère.

Certes.

Mais elle l'était aussi.

— Vous me devez des excuses, murmura-t-elle avec hargne.

Ambroise soupira.

— Je vous en ai données.

— C'est faux.

Elle l'entendit prendre place sur l'un des sièges. Ses doigts tambourinèrent sur le bureau, mais son regard ne quittait pas Lizzie, elle le sentait.

— Soit, fit-il du bout des lèvres. Je m'excuse. Êtes-vous satisfaite ? Pouvons-nous reprendre nos leçons, maintenant ?

Lizzie serra les poings.

Elle se revoyait — distinctement, douloureusement, faisant face à Ambroise dans le réfectoire, des années plus tôt. Elle aurait préféré que ce jour n'aie jamais existé.

Elle convoqua à elle le courage qu'elle avait eu ce jour-là, et tourna enfin la tête vers lui.

— Non.

L'air de la pièce parut se changer en plomb.

— Non ? Pourquoi cela ?

— Parce que j'avais confiance en vous.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant