Chapitre 17 - Des ombres

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Le temps qu'elle sorte de l'église, de grosses gouttes de pluie tombaient à verse, et ce fut trempée de la tête aux pieds que Lizzie atteignit la maison. Fiona porta une main à son cœur lorsqu'elle vint lui ouvrir.

Freyja !

Jan émergea à cet instant dans le couloir, et se saisit de son manteau accroché à la patère.

— Où étiez-vous passée ? s'enquit-il en enfilant son vêtement.

— À l'église.

— Rentrez. Vous allez attraper la mort.

Lizzie haussa un sourcil devant son ton péremptoire, mais obtempéra.

— Où allez-vous ? demanda-t-elle tandis qu'il passait devant elle pour s'engouffrer à l'extérieur.

— Chez mon père.

— J'aurais à vous parler, fit-elle en songeant à la missive qu'elle avait reçue.

— Cela attendra. J'ai des rendez-vous, je rentrerai tard. Ne m'attendez pas.

Jan allait refermer la porte derrière lui, lorsqu'il suspendit son geste.

— En fait, je risque de repartir à l'aube. Nous nous verrons demain.

Lizzie ne parvint pas à répliquer quoi que ce soit devant son ton glacial.

Il s'en fut, claquant le battant.

Après leur discussion de ce matin, son comportement la déroutait. Il s'était ouvert à elle, et elle à lui, et il l'avait à peine regardée quelques instants auparavant. Non pas que cela lui importât. Mais elle regrettait, à présent, cette conversation bien trop intime qu'ils avaient eue.

Lizzie frémit dans sa robe détrempée.

— Allez prendre un bain bien chaud, voulez-vous ? A-t-on idée de sortir à cette époque de l'année aussi légèrement vêtue !

— Je ne pensais pas qu'il faisait si froid, répliqua Lizzie en montant l'escalier.

— Et qu'avez-vous bien pu dire à ce pauvre Jan ce matin ?

La jeune femme haussa les épaules.

Elle monta jusqu'à la chambre sous le regard plissé de Fiona. Elle ferma la porte à double tour et se fit couler un bain, avant de s'immerger dans l'eau — brûlante.

Quelque chose n'allait pas. Un vague sentiment éteignait son cœur. Quoi ?

Elle ferma les yeux, et se concentra.

C'était la première fois qu'elle passait la fête de Mercyng seule. À la Pension, ils étaient tous orphelins. La plupart des enfants tiraient un peu de réconfort de cette journée.

Mais à présent, elle était bien loin de Caelian et de ses jardins royaux.

Elle songea à son enfance. Elle s'en souvenait peu. Elle se rappelait les effluves âcres du quartier des Teinturiers dans lequel elle s'était rendue avec Ambroise.

D'avant, il y avait des gestes de ses parents, quelques réminiscences floues, grisées, comme venues d'une autre vie. Des visages incertains. Elle se souvenait aussi de grandes silhouettes vêtues de manteaux sombres frappés de l'écu royal et de masques terrifiants arpentaient les rues. La Peste Noire de Mercyng épargnait les enfants. Les orphelins étaient emmenés — Lizzie se souvenait, distinctement, d'une main gantée de cuir qui s'était tendue vers elle.

Elle avait compris après, bien après, que, pendant la Peste, seuls les orphelins présentant des dons remarquables étaient recueillis par les agents de la couronne, et disséminés dans des pensionnats aux quatre coins du royaume. Les autres étaient rendus aux bas-fonds de Caelian. Un ministre, charmé par sa compagnie et croyant la flatter en apprenant qu'elle venait de la Pension lui avait divulgué cette information lors d'une réception — elle avait quitté la salle en courant, au grand mécontentement d'Ambroise. Seuls les dieux savaient ce qui avait pu arriver aux autres, aux petites filles et aux petits garçons sans dispositions particulières. Certains enfermés dans des institutions austères, d'autres condamnés à vivre d'expédients — et d'autres encore que la famine, la maladie, la rue ou le désespoir avaient fauchés depuis longtemps.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant