Ambroise, tapi dans l'ombre de la statue placée au centre du labyrinthe, l'attendait. Elle traquait sa respiration depuis plusieurs minutes déjà, dans l'enchevêtrement des haies qui montaient vers le ciel en charriant leurs effluves nocturnes, pourtant elle faillit le rater. Il avait enfoui ses mains dans son long manteau sombre, et de haut-de-chausses de la même teinte. Seul son visage pâle, l'éclat de ses cheveux blonds et la cravate nouée autour de son cou trahissait sa présence, à la faveur d'un éclat de lune.
— Bonsoir, Lizzie.
Il sortit des ombres et la jaugea en silence. Il avait un sourire au coin des lèvres.
Elle avait revêtu la robe pourpre qu'il avait fait apporter à la Pension dans la mâtinée. Adélaïde l'avait aidée à se coiffer et à s'habiller, sous l'œil critique de madame Constance qui avait resserré son corset jusqu'à l'étouffer. D'ordinaire, même si sa fréquentation de la cour n'était plus un secret pour personne à la Pension, elle se changeait dans le vieux théâtre laissé à l'abandon. Cette fois faisait exception à la règle, et cela éveilla la méfiance de la jeune femme. Surtout, c'était la première fois qu'elle quittait leur lieu de rendez-vous habituel avec Ambroise, depuis qu'elle avait tué le baron de Mésille, trois mois plus tôt.
— Que faisons-nous ici ?
— Il y a des festivités à la salle de bal.
La salle de bal n'était pas une vraie salle. Il s'agissait d'un espace en plein air, où les nobles de la cour venaient danser, précédant souvent le lancer de somptueux feux d'artifice.
— Je sais, j'ai entendu la musique en venant. Vous auriez pu songer à un lieu de rendez-vous plus commode, ajouta-t-elle en désignant le labyrinthe autour d'eux. J'espère que vous connaissez la sortie.
Elle avait à peine finit de prononcer sa phrase que les lampes disséminées un peu partout dans les buissons s'illuminèrent d'une pâle lueur bleutée, la faisant sursauter.
Il y avait des légendes sur ce labyrinthe. On disait que certains nobles y entraient, et n'en revenaient jamais. On disait aussi que chaque lendemain de fête, les jardiniers du Palais ratissaient le dédale à la recherche des aristocrates qui s'y seraient égarés — généralement après une consommation excessive de boisson.
Ambroise eut un rictus.
— Je songeais plutôt à vous faire retrouver la sortie. Les yeux bandés.
Lizzie ouvrit la bouche pour répliquer, mais le sourire d'Ambroise s'élargit, et un doux rire s'échappa de sa gorge. Elle le gratifia d'une tape sur le bras en comprenant qu'il plaisantait.
— Ce n'est pas drôle !
— Et nous n'avons pas besoin de sortir de ce labyrinthe. Pas tout de suite, du moins.
Lizzie fronça les sourcils.
— Pourquoi ?
— Nous ne nous rendons pas à la salle de bal.
Le visage d'Ambroise devint grave, et elle se figea, le souffle court.
— Et je vous dois une danse.
Lizzie cilla.
Elle avait rapidement repris le chemin du théâtre, mais Ambroise s'était borné à la soumettre à ses exercices habituels, et à la tenir éloignée de la cour. À dire vrai, elle ne songeait même plus à la danse qu'il lui avait promise ce soir où elle avait tué le baron de Mésille.
— Je croyais que nous ne nous rendions pas à la salle de bal.
— C'est exact.
— Nous danserons donc ici ?
VOUS LISEZ
La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...