Le lendemain matin, Lizzie avait mis de longues minutes à oser se glisser à l'extérieur de sa chambre. Jan l'avait attendue, assis sur le lit. Ils avaient à peine échangé deux mots — des banalités, pendant qu'ils se vêtaient de part et d'autre du paravent.
La gorge de Lizzie était nouée.
Elle songeait aux heures qui venaient de s'écouler. Lorsqu'elle n'avait plus eu assez de larmes pour pleurer, elle s'était étendue sur le dos, et avait écouté la respiration paisible d'Ambroise, un étage plus bas. Endormi.
Elle avait mille fois eu le temps de regretter son acte. Une nuit. Elle n'avait offert à Jan van Stoker qu'une nuit. Et Ambroise ? Il ne manquerait pas de lui faire payer ce qu'elle avait fait. Mais par intermittence, elle revoyait Ambroise, la sérénité de son visage assoupi, et l'idée qu'il put seulement lui faire du mal — comme la veille — lui semblait aussi irréelle qu'un songe. Je vous croyais morte.
Elle avait eu le temps de penser durant la nuit.
À l'aube, alors que Fiona s'activait en cuisine, inconsciente du danger qui pesait sur la maisonnée, Lizzie avait pris sa décision.
Si Ambroise décidait de frapper, elle protégerait Jan van Stoker. Pourtant, il aurait été si tentant de le laisser faire ; mais elle ne pouvait cependant s'y résoudre.
En descendant les escaliers, elle frôla son poignard qui ne la quittait jamais. Cette fois, elle ne l'avait pas attaché à sa cuisse. Cette fois, elle l'avait enfoui dans la poche de son jupon. Non, si Ambroise décidait de frapper, elle n'hésiterait pas.
Jan et elle s'immobilisèrent un instant dans le couloir. Lizzie le regarda un instant, et frôla ses doigts. Elle pencha la tête pour désigner la salle à manger. Ambroise les y attendait déjà. Jan acquiesça, et déglutit.
Elle passa devant Jan lorsqu'ils entrèrent. Par sécurité.
Son mentor se tenait très droit, les mains jointes devant lui. Lorsque Jan et Lizzie apparurent dans l'embrasure, il leur adressa un sourire si convaincant que la jeune femme, si elle le connaissait moins, se serait laissée méprendre. Mais elle ne pouvait manquer la lueur glacée qui couvait dans son regard — une lueur qui lui était destinée.
Elle ne se laisserait pas atteindre.
— Van Stoker. Très chère sœur.
Non, elle ne se laisserait pas atteindre. Elle aussi pouvait jouer un rôle.
Lizzie chassa l'inquiétude qui nouait ses entrailles, et s'avança jusqu'à lui. Elle se revit, tout à coup, dans le réfectoire de la Pension, lorsqu'elle avait tenu tête à Ambroise après la mort du baron de Mésille. Il lui avait fallu du courage, ce jour-là. Si elle l'avait fait une fois, elle pouvait le refaire.
— Mon cher frère.
Dans le silence qui s'installait, elle lui présenta sa main gauche. Les yeux glacés d'Ambroise quittèrent son visage, où ils s'étaient rivés depuis qu'elle était entrée, pour contempler la main qu'elle lui tendait. Son alliance brilla dans les rayons du soleil naissant qui perçaient à travers la vitre.
Les doigts d'Ambroise s'emparèrent des siens en un geste ferme, presque brusque — il serrait bien plus fort que nécessaire. Il les monta à ses lèvres, et Lizzie ne put s'empêcher de frémir en sentant son souffle sur sa peau. À l'instant où il relâcha sa main, elle attaqua :
— J'espère que vous avez bien dormi.
Un rictus passa sur les lèvres d'Ambroise.
— En effet. Mais pas vous, de toute évidence.
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La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...