Lizzie avait passé la journée à réfléchir. Et une bonne partie de la nuit à effectuer des allers-retours entre le lit et la porte de la chambre, hésitante. Lorsqu'elle s'était glissée dans le couloir, elle avait fermement repoussé tous les doutes qui s'insinuaient dans son esprit.Non, elle ne changerait pas d'avis. Elle n'avait pas le choix.
Elle descendit d'un pas silencieux les escaliers, et se coula dans les ombres du couloir. Elle tourna la tête vers la porte d'entrée — elle entendait les gardes qui faisaient les cent pas sur le perron — avant de pousser la porte du bureau plongé dans le noir.
Elle réalisa qu'elle était entrée sans frapper. Peut-être ne l'avait-il pas entendu arriver. Elle alluma la lampe à cræft la plus proche d'elle, la laissant diffuser une pâle lueur bleutée.
Jan était allongé dans le lit poussé dans un coin du bureau et à moitié dissimulé par un paravent.
— Jan ? Jan, réveillez-vous.
Il tourna mollement la tête vers elle, encore prisonnier des brumes du sommeil.
— J'ai besoin de votre aide.
Sa voix avait tremblé — pourquoi, au nom des dieux, avait-elle tremblé ? Cela eut au moins le mérite de tirer Jan de sa torpeur. Il se redressa vivement.
— Donnez-moi un instant.
Elle entendit des bruissements d'étoffes, de l'autre côté du paravent, et elle devina qu'il enfilait des chausses.
— Un problème ? reprit-il de là où il se trouvait pendant que Lizzie détournait le regard, malgré le panneau qui les séparait.
— Je dois sortir. Pour... vous savez quoi.
— Vous ne pouvez pas. La garde...
— Je sais. Et cela est d'autant plus problématique que je dois me rendre dans un lieu public.
— Ne pouvez-vous pas attendre que la situation se calme ?
Jan apparut, et se passa une main lasse sur son visage. L'omoplate de Lizzie la tirailla en réponse à sa question.
— Non, je ne le peux pas. Aksel Emerson avait affirmé que votre père connaissait bien Jorgen. Est-ce vrai ?
Jan se figea.
— Vous n'allez tout de même pas assassiner le Haut-Régent de Wallend.
— Serait-ce si étonnant ?
Il garda le silence, mais son visage trahissait clairement son malaise.
— Aksel a affirmé qu'il devait se rendre au théâtre. Honorine, ajouta-t-elle pour lui rafraîchir la mémoire.
— En effet. Et ne me dites pas que vous voulez assister à cette pièce au nom ridicule.
Lizzie répondit par un silence.
— Élisabeth, pour l'amour des dieux ! Nous ne pouvons pas quitter cette maison. Comment comptez-vous expliquer à la garde votre soudaine envie de vous rendre au théâtre ?
— Vous êtes Wallend. Et d'après vous, en tant que votre épouse, je suis considérée comme telle. Vous pourriez demander l'intervention de Jorgen pour qu'il intercède en notre faveur et nous permette de sortir.
— Mon père et lui se fréquentent moins depuis son intégration au conseil.
— Mais ce serait possible ?
— Peut-être. Et cela serait une drôle de façon de le remercier que de l'assassiner.
Elle recula devant son ton acerbe. Mais elle devait admettre qu'il avait raison. C'était pourtant ainsi qu'elle devait se montrer : froide, calculatrice, déloyale. Dans le jeu que l'Ardrasie avait dressé pour elle, c'était ainsi qu'elle l'emporterait.
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La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...