Chapitre 20 - La lame

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Le bruit des festivités parvenait à ses tympans, la rumeur des discussions, de la musique et du martèlement des souliers sur le sol de marbre. Des sons familiers qui lui rappelaient l'Ardrasie.

Lizzie se dirigea vers l'escalier d'un pas assuré, tête baissée. Chaque degré la menait vers les gardes postés au sommet, vêtus d'uniformes semblables au sien, et armés de mousquets et de lances.

Lorsqu'elle arriva à l'étage, un des hommes la héla en nærmarkien. Elle ne connaissait que quelques mots, et il avait parlé trop vite pour qu'elle comprenne quoi que ce fut. Lizzie se figea. Évidemment. C'était la langue que parlait Redstig, et il devait s'entourer de domestiques venus de sa nation. Mais l'homme ne semblait pas attendre de réponse, car lorsque Lizzie descendit les yeux sur sa pile de linge, il s'effaça pour la laisser passer.

Son cœur battait trop fort, trop vite. Ses paumes étaient moites. Mais elle ne pouvait prendre le risque de s'arrêter pour reprendre son souffle.

L'aile privée était aussi luxueuse que le rez-de-chaussée. Partout, des colonnades, des fresques incrustées d'or, des chandeliers ouvragés et des lustres de cristal, et, nota-t-elle avec satisfaction, de lourds tapis qui assourdissaient ses pas. Même les poignées de porte étaient délicatement ornées.

Elle franchit une succession de couloirs, avec sur le visage l'air de celle — de celui — qui sait où aller. Elle n'avait pas la moindre idée de la configuration des lieux, mais, avec autant de domestiques, la chambre des maîtres devait se situer dans un endroit facile d'accès, visible — une mise en scène, comme tout en ces lieux.

De fait, le corridor dans lequel elle se trouvait désormais présentait un raffinement extrême. Lizzie ralentit. Des gardes étaient postés à intervalle régulier. La respiration de Lizzie se coupa dans sa poitrine. Elle devait faire vite. Elle n'aurait droit qu'à une chance, elle pouvait difficilement vagabonder de pièce en pièce sans attirer l'attention. Ses yeux volèrent de portes en portes en quelques secondes. Laquelle était la bonne ? Elle prit le parti d'élire le panneau le plus décoré, dont le double battant trônait au bout du corridor, flanqué de deux gardes.

Elle s'avança, le regard rivé sur le linge qu'elle tenait entre ses bras.

Les gardes lui jetèrent à peine un coup d'œil avant de la laisser entrer et de refermer derrière elle.

La chambre était spacieuse, pourvue d'une multitude de recoins où se dissimuler. Elle nota la présence de trois fenêtres, qui donnaient sur le jardin. Elle aperçut un bureau richement sculpté, jonché de papiers.

Lizzie posa les draps sur un guéridon et entreprit de fouiller les missives et les parchemins, jusqu'à trouver une enveloppe sur laquelle était inscrite le nom d'Ulrik Redstig. Elle devait se trouvait au bon endroit. Et si ce n'était pas le cas, elle aviserait.

La jeune femme avisa la tenue de nuit de Redstig qui était déjà déposée sur le lit, soigneusement pliée, et prit le parti de se glisser dans la penderie. Elle se débarrassa de sa livrée afin d'être plus à l'aise pour se mouvoir. Elle s'assit entre les manteaux qui y étaient suspendus — l'espace réduit empestait le camphre — et referma le battant. Avec un peu de chance, personne n'ouvrirait l'armoire.

Au bout de quelques minutes, minuit sonna. Des pas résonnèrent dans le couloir : la garde se relayait. Elle tendit l'oreille, mais aucune conversation ne lui parvint. Les hommes ne signalaient pas sa présence, et personne ne s'interrogerait sur le fait qu'elle ne soit pas sortie de la pièce.

Lizzie se rencogna contre la paroi de la penderie. L'attente serait longue, et elle devait prendre son mal en patience. Elle ferma les yeux, priant pour ne pas sombrer. Elle prit d'amples respirations, se concentrant sur les mouvements de sa poitrine, sur l'air qui gonflait ses poumons. Tout son corps était affreusement crispé, ses muscles bandés par la tension qui l'habitait. En pensée, elle voyagea jusqu'à la Pension. Les murs de pierre du réfectoire, où se reflétait la lueur bleutée des lampes à cræft. Elle s'échappa mentalement de la pièce, jusqu'à la cour, passa la grille de fer forgée, s'engouffra dans les jardins royaux. Elle pouvait presque sentir la chaleur du soleil sur son visage, mêlée à l'humidité et à l'odeur douceâtre des fontaines et des buis sculptés. Elle parcourut les allées jusqu'au théâtre. Ambroise se tenait là, de dos, très droit dans son uniforme sombre. Sa gorge se serra lorsqu'il se tourna vers elle, un sourire aux lèvres. Il marcha jusqu'à sa rencontre, et elle saisit sa main, monta ses doigts à ses lèvres, embrassa la chevalière frappée des armoiries de la maison du Roi qui ceignait son annulaire. Une bouffée de chaleur embrasa ses joues. Sa peau était si douce sous ses lèvres, presque irréelle. Elle la porta à sa joue. Elle se sentait bien, ainsi. Ambroise la regardait, mais la douceur de ses traits se transforma brutalement en un air sévère. Ne vous endormez pas, Elisabeth. Quelqu'un arrive.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant