Chapitre 8 - Le vaste monde

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« Car nous le savons, le cræft est un terme hautement polysémique en ancien langage, désignant la création, mais aussi l'illusion, la requête, la force, la puissance. À la fois source et émanation de toute chose, le cræft est partout ; il est le principe sur lequel tout repose. Il est création et illusion. Il est force et puissance. Il est pouvoir. Il est tout autour de nous, et en nous. Chacun, dans cette pièce, est en mesure d'interagir avec des mécanismes et des organismes simples : de produire de l'énergie, de soigner, de manipuler la matière. Alors pourquoi s'étonner, messieurs, que certains d'entre nous soient capables de déformer la réalité, de traverser un lit de braises sans se brûler, de donner la mort d'une pensée ? Les dieux l'ont voulu ainsi ; les dieux les ont bénis. »
Septième congrès « Sur les usages du cræft », Cyning Scōl, Ræfenton, Nærmark




Lizzie s'éveilla sous le chant des oiseaux, qui piaillaient dans l'étroit jardin. Un instant, cela lui rappela la Pension nichée au creux des jardins royaux. Mais elle en était bien loin, désormais, et une sensation étrange la saisit.

Fort-Rijkdom.

Elle repoussa la détresse qui menaçait de revenir la hanter. Elle s'était accordée un instant de vertige la nuit dernière. À présent, c'était fini. Elle devait avancer. Ne pas regarder en arrière — ni trop en avant. Faire ce qu'elle avait à faire.

Dans quelques jours, elle tuerait Drew Ferian.

Elle repoussa les draps et se leva, silencieusement, comme elle le faisait toujours. Une habitude prise à l'orphelinat, lorsqu'elle se levait plus tôt que les autres filles pour aller assister à ses leçons matinales. Elle repoussa les souvenirs et le rideau de dentelle blanche qui ceignait la fenêtre. L'automne était presque là, mais la température était encore agréable. Le soleil du matin frappait la vitre d'une douce chaleur. Lizzie frémit à l'idée de l'hiver qui l'attendait, elle qui détestait avoir froid. Bien plus au nord que Caelian, Fort-Rijkdom promettait une saison rigoureuse.

Ses yeux tombèrent sur la silhouette qui s'activait dans l'étroit jardin. Jan. Elle l'observa un instant, tandis qu'il était agenouillé sur le sol. Lizzie pouvait apercevoir des traînées de terre humide maculant sa chemise.

Elle se lava, s'habilla rapidement et descendit. Un vent frais courait dans la voorhuis, charriant des effluves de café. Lizzie s'accrocha un instant à la rambarde, chancelante sous le flot de souvenirs — le soleil de fin d'été qui filtrait par les fenêtres du réfectoire de la Pension, et les chamailleries des plus jeunes pensionnaires. Adélaïde, Madame Constance. Ambroise. Ça suffit. Elle se concentra sur ce qui l'entourait. La lumière affadie du couloir, traversant l'ouverture qui surmontait la porte d'entrée. Le manteau de Jan accroché à la patère, le banc branlant en-dessous.

La porte arrière était grande ouverte. En franchissant le couloir, elle jeta un regard vers la salle à manger. Vide, bien que la table fut chargée de victuailles et le poêle allumé. Elle continua le long du corridor, jusqu'à arriver sur le seuil du jardinet. Des massifs de roses se mêlaient à des plantes exotiques et à un carré de simples. L'ensemble était asymétrique et confus, bien loin de l'ordre millimétré des jardins royaux que Lizzie avait connu, mais il y avait quelque chose d'infiniment chaleureux dans ce chaos.

— Bonjour, fit-elle d'une voix qu'elle espérait assurée.

Le dos de Jan se raidit. Elle s'admonesta intérieurement. Elle aurait sans doute mieux fait d'attendre dans la maison. Elle allait se confondre en excuses, mais il s'était levé. Les mains couvertes de terre, il se dirigea vers elle.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant