Chapitre 4 - L'attente

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"Mais, avec les hommes qui avaient été faits vertueux, vinrent les vices ; et bientôt le premier sang fut versé. Werran, dieu de la Guerre et de la Paix, naquit des larmes de la déesse qui contemplait ses enfants ensanglantés.
Mercyng conduisit ceux qui avaient péri au-delà du monde dans son palais de Lune et d'Étoiles. Et Werran vit la douleur et le chagrin des créatures de chair qui demeuraient sous le soleil brûlant et cherchaient en pleurant ceux qui étaient partis. Il en éprouva de la peine, et il supplia Mercyng de redonner la vie à ceux qui l'avaient perdue.
Celui qui était devenu le dieu des morts refusa."


*


Il était de coutume que la mariée attendît seule dans la chambre la journée entière.

Ambroise lui avait assuré que dans les mariages d'amour, il s'agissait d'une épreuve de patience.

Lizzie sentit son ventre se tordre. Elle savait ce qui viendrait, le soir venu. Le monde était flou, et elle avait envie de pleurer.

De la maison, elle n'avait rien vu. L'intérieur était bien éclairé, quoiqu'étroit. Jan lui avait fait gravir l'escalier qui se trouvait en face de la porte, et l'avait guidée vers une des trois portes qui se trouvaient à l'étage.

Lorsqu'elle s'était glissée dans la pièce, il l'avait laissée. La chambre s'étendait tout en longueur, mais était spacieuse ; elle devait prendre à elle seule la moitié de l'étage. Les fenêtres aux rideaux de dentelle blanche donnaient sur un jardin aux allures chaotiques, bien loin de l'ordre calme et assuré des jardins royaux.

Un grand lit à baldaquin trônait — elle évitait de le regarder. Les lampes projetaient des ombres sur les murs sobres. Le mobilier tout aussi simple la rassérénait quelque peu. Elle avait craint d'entrer dans une demeure bourgeoise, au luxe proéminent, où elle ne se serait pas sentie à sa place. Mais il n'y avait rien de fastueux.

Il y avait pour tous meubles un lit, un secrétaire, un baquet vide, et deux coffres — le sien, et, supposait-elle, celui qui recélait les effets de Jan van Stoker.

Elle n'osait toucher à rien, alors, lorsqu'elle fut fatiguée de rester debout, elle s'assit à même le sol, le dos appuyé contre sa cassette, et entreprit de fermer les yeux. Mais elle savait qu'elle ne dormirait pas, malgré la fatigue qui l'envahissait.

Mais des pensées bondissaient sans cesse dans son esprit, lancinantes, augmentant chaque seconde l'appréhension qui montait en elle. Les heures de la journée s'écoulaient comme une longue torture ; le temps se dilatait. Elle ne toucha pas au repas qu'on lui avait fait monter.

Lorsqu'elle fut lasse de ne rien faire, elle ouvrit le coffre de Van Stoker, mue par le désœuvrement plus que par la curiosité. Elle avait besoin d'occuper ses mains et son esprit. Il y avait là des étoffes de qualité, des tuniques coupées avec soin, d'élégants gilets brodés. Aucun objet personnel de celui qui était devenu son époux. Elle le referma, déçue. Jan van Stoker appréciait les mêmes tenues que n'importe quel jeune homme de son rang, et cela ne lui apprenait pas davantage sur lui que ce qu'elle ne savait déjà.

Elle s'agenouilla devant sa propre cassette, et en fouilla le contenu, jusqu'à ce que ses doigts se refermèrent sur sa dague, dissimulée au milieu de ses jupons. Il aurait été malavisé de la sortir maintenant, mais le contour de son fourreau ciselé l'apaisa, et elle le serra fort dans sa paume, jusqu'à ce que les motifs qui y étaient gravés s'incrustent dans sa chair et que ses phalanges blanchissent. Grands dieux, elle avait si peur !

Sa main libre buta ensuite sur le double-fond. Son cœur rata un battement lorsqu'elle nota qu'elle l'avait mal clôt à se dernière ouverture, à moins que les cahots de la route n'aient délogé le panneau qui dissimulait la cache. Mais tout était à sa place, son pistolet et sa poudre, deux petits poignards aiguisés, et l'enveloppe qui contenait la lettre d'Ambroise. Elle fut caressée par l'idée de la lire à nouveau, mais elle n'aurait su dire si cela lui aurait conféré du courage, ou l'aurait plongée dans des affres d'inquiétude. Elle vérifia l'emplacement et le contenu des fioles : tout était à sa place. Son secret était sauf, mais elle devait se montrer plus prudente. Une qualité que tu portes pourtant dans ton nom, Lizzie, l'aurait réprimandée Ambroise.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant