La Lame des Bas-Royaumes / 1

Chapitre 5 - Freyja

« Alors Werran, prompt à la colère, blessa Krafjana. De la plaie béante naquit Trudan, dieu du commerce et de la justice, dont l'avènement offrit l'harmonie au monde mortel et fit voler en éclats la concorde du monde des dieux. Afin de châtier Werran, Mercyng et Krafjana le condamnèrent à s'abreuver du sang des mortels ; et ainsi les hommes ne connaîtraient jamais une paix durable. Les hommes se rebellèrent. Ils détruisirent les idoles — et aujourd'hui, nul ne connait le visage des dieux. Pour punir les mortels de leur révolte, Mercyng décrocha la lune et les étoiles qui éclairaient son domaine, pour les confier à Sohl ; et celui-ci les plaça à ses côtés dans le ciel, pour que jamais les mortels n'oublient qu'ils vogueraient un jour vers le royaume sombre. »

- Geste des Dieux

Le soleil était levé depuis deux heures déjà, et elle n'osait pas effectuer le moindre mouvement, assise bien droite sur son lit.

Fiona était passée pour lui préparer un bain. La domestique avait gardé les yeux baissés et s'était activée dans une succession de gestes maladroits, jusqu'à ce que Lizzie lui affirme qu'elle pouvait se débrouiller seule. À la Pension, elle s'occupait souvent d'actionner elle-même, à l'aide de son cræft, les mécanismes qui conduisaient l'eau chaude dans les tuyaux.

Lizzie avait revêtu une robe de serge d'un vert foncé, comme celui des pins qui parsemaient la lande. Ce n'était indéniablement pas la plus belle tenue qu'elle possédait, mais c'était celle qu'Ambroise aurait souhaité qu'elle porte. Elle était sobre, mais assez élégante pour faire bonne impression. Sans compter qu'elle était plus à son aise ainsi, moins voyante.

Elle se força à déglutir, combattit une dernière fois son reflet dans la psyché. Tout ira bien.

Elle traversa la chambre d'un pas lent, jusqu'à ouvrir la porte. Aussitôt, des effluves de café saisir sa gorge, et elle sentit ses yeux s'humidifier de larmes. L'odeur lui évoqua les soirées passées avec Ambroise, les traits de son mentor tirés par la fatigue, tandis qu'il lui enseignait sans relâche le combat, la politique, l'art des poisons.

Mais Ambroise n'était pas là. Elle descendit un à un les degrés, sans faire de bruit. Le couloir était désert. Elle n'avait guère eut le loisir de l'admirer à son arrivée. Une pâle lueur filtrait du vantail qui s'ouvrait au-dessus de la porte d'entrée.

Elle allait avancer dans le corridor lorsqu'elle nota la présence d'une pièce à droite, sous l'escalier. Trop occupée par ses pensées, elle ne l'avait pas aperçue. Après s'être assurée qu'il n'y avait personne à l'intérieur, elle coula un regard par la porte entrebâillée, et entrevit une pièce étroite, toute en longueur. Il y avait là un secrétaire où s'amoncelait des dossiers, et, à moitié dissimulé par un paravant, un lit aux draps défaits. Lizzie sentit ses joues la brûler au souvenir de la veille. Elle se décolla de la porte, et entreprit d'avancer dans le couloir. Quelques bruits de vaisselle résonnaient de la pièce tout au fond. À gauche, juste après la porte d'entrée, elle aperçut un salon aux murs recouverts de tapisseries vertes interrompues par des peintures, et au mobilier émaillé de dorures. La pièce offrait un contraste saisissant avec la sobriété du corridor et de l'étage.

La pièce suivante se constituait de la salle à manger, étroite, pourvue d'une longue table en acajou et de chaises aux dossiers tendus de luxueux tissus. Jan se trouvait déjà là, assit à l'autre bout de la pièce, devant une tasse fumante posée sur une soucoupe de porcelaine, absorbé par la lecture de la dépêche locale. Fiona allumait une à une les lampes à cræft ainsi que le poêle qui servait à chauffer la pièce, sans faire attention à elle.

Lizzie, pétrifiée, incapable de trouver la façon appropriée d'annoncer sa présence, ferma les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, toutes les lanternes flambaient haut et fort d'une belle lueur d'un blanc bleuté, et Fiona avait posé une main sur sa poitrine, un peu blême.