Chapitre 38 - Déchirer le monde

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Lizzie sortit de ses réflexions alors que l'aube pointait à travers la fenêtre. Elle massa sa nuque raide. Elle entendait les pas de Jan qui montait les escaliers. Il ne tarda pas à frapper doucement à la porte de la chambre. Elle se décida à se lever, après avoir écouté quelques secondes les inspirations amples et douces de Magdalene — elle dormait à poings fermés.

La jeune femme entrebâilla la porte, dévoilant la silhouette de Jan. Il n'avait pas dormi, lui non plus.

— Comment va-t-elle ? chuchota-t-il.

— Elle dort, répondit Lizzie sur le même ton.

Mais ce fut à ce moment que Magdalene commença à hurler.

Lizzie fit volte-face et alluma les lampes d'une vive impulsion. Ses yeux s'écarquillèrent. Là, sur les draps blancs, une fleur de sang se répandait entre les jambes de Magdalene.

Lizzie se précipita à son chevet. Jan eut un mouvement pour la rejoindre, mais d'un regard elle lui ordonna de sortir.

— Lizzie... J'ai... mal.

— C'est normal. Cela va passer.

En vérité, elle n'en savait rien.

Pour ce qu'elle en savait, la vue de sang n'était jamais bon signe.

Maudit soit Ambroise. Maudits soient ses secrets. Maudit soit-elle pour n'avoir pas demandé — trop effrayée qu'elle avait été alors, trop mal à l'aise, aussi, pour avoir cette discussion avec lui.

Le regard de Lizzie passait du sang au visage affreusement pâle de Magdalene. Celle-ci peinait à respirer. Elle gémissait à intervalle régulier.

Lizzie...

— Ce n'est rien. C'est normal. Ce sera bientôt fini.

La main de Magdalene se crispa dans la sienne. À travers le cræft, elle entendait le cœur de Magdalene, qui pulsait de plus en plus fort, de plus en plus vite, à mesure que la panique la gagnait.

— Ce sera bientôt fini, fit-elle encore. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Nous allons te trouver un navire, et dans quelques semaines, tu seras de retour à la maison.

Elle lui sourit.

— Te souviens-tu de la vue de Caelian que nous avions du pont du bateau ? ajouta Lizzie. Le lever du soleil sur les pierres blanches, et le cri des oiseaux dans la brise ? C'était magnifique.

— Tu tenais une rose. Tu l'as laissée s'envoler.

— Oui, souffla-t-elle. Mon frère me l'avait offerte, juste avant que je ne quitte la Pension. Je...

Magdalene se contorsionna de douleur, son visage crispé, les traits blêmes. Lizzie serra plus fort ses doigts, caressa sa joue.

— Chut, chut, tout va bien. Je vais...

Mais que pouvait-elle faire ?

Elle laissa le cræft envahir ses doigts. Elle l'avait fait tant et tant de fois pour apaiser les enfants qui arrivaient à la Pension. Elle convoqua le don qui était tapi en elle. Le cœur de Magdalene ralentit un peu, son souffle s'apaisa. Ses paupières papillonnèrent.

Elle plongea Magdalene dans un demi-sommeil, repoussa la douleur sur les bords de sa conscience.

Des sanglots sporadiques continuaient d'éclater sur ses lèvres, ponctués de gémissements, mais au moins ses traits s'étaient-ils détendus.

Elle tint encore sa main un moment. Sa propre fatigue commençait à se faire sentir, et l'usage du cræft lui coûtait. Elle jeta un regard au sang qui maculait le lit. Elle n'avait aucun moyen de savoir si cela était un bon présage ou non. Il y en avait tellement — une mer pourpre sur le blanc des draps. Elle ne savait pas. Elle n'en savait rien.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant