Chapitre 36 - La fin du jeu

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Les petits-déjeuners gargantuesques de Fiona lui manqueraient.

Et le calme paisible des matins, la lumière entrant à flot par les fenêtres et se déversant sur la table en acajou, l'odeur du café. À la Pension, Lizzie avait à peine le temps de se réveiller que ses leçons commençaient, et s'achevaient tard le soir lorsqu'elle titubait de fatigue. Elle se levait avant tous ses camarades et rentraient lorsqu'ils étaient tous endormis. L'agitation constante qui régnait dans son esprit, la tension immuable qui parcourait son corps. Chaque minute mise à profit, tournée vers la mission qui l'attendait.

Et maintenant ?

C'était fini. Elle en avait assez.

Elle voulait juste de la paix, longtemps. Et ces matinées douces et tranquilles étaient ce qui s'en rapprochait le plus. Même si la peur ne la quittait jamais tout à fait.

Ce qu'elle avait fait la poursuivait sans cesse, chaque nuit. Mais pour la première fois depuis des mois, le dieu sombre n'était pas penché par-dessus son épaule, distillant douleur et fureur dans son corps.

Pour la première fois depuis son arrivée, elle n'avait plus de sang à faire couler. Elle attendait fébrilement les représailles de l'Ardrasie. Elle savait que Ascelin de Glaves ne pouvait laisser son affront impuni. Mais pour l'heure, le Haut-Régent demeurait silencieux. Elle espérait qu'il était trop occupé à tenir les rênes de Fort-Rijkdom pour lui faire payer. De toute façon, comme elle l'avait escompté, les soupçons s'étaient immédiatement porté sur le Nærmark. Mais le Haut-Régent devait savoir qui était véritablement à l'origine de l'assassinat.

Néanmoins, les quinze derniers jours étaient passé dans un brouillard flou. Si De Glaves décidait de la faire arrêter, de l'emprisonner ? Pire, de l'accuser ? Rien ni personne ne se mettrait en travers de son chemin. Mais il ne pouvait le faire officiellement ; car ce serait prendre le risque qu'elle dénonce l'Ardrasie pour sauver sa peau. Et même si cela devait se produire, elle avait un atout de taille : Jan pourrait témoigner en sa faveur, ainsi que ce mystérieux Carlton Belvild qui avait orchestré sa venue au Pays d'en Haut aussi sûrement que son royaume. Il avait de l'influence. S'il le fallait, elle trouverait un moyen de négocier avec lui.

Et si Ascelin de Glaves décidait de régler les choses dans l'ombre ? Il y avait mille façon de faire disparaître un individu gênant. Elle avait outrepassé les ordres, certes. Mais pour l'heure, les conséquences étaient minimes aux yeux de l'Ardrasie. Elle comptait sur cela.

Et maintenant ? Elle attendait. Sans trop savoir quoi.

Lizzie se rencogna contre le dossier de sa chaise et passa une main lasse sur son visage. Elle en avait assez de l'inquiétude qui la rongeait.

Jan entra à cet instant dans la salle à manger.

— Je dois me rendre chez Belvild, aujourd'hui.

Fiona, qui buvait une tasse de café à l'autre bout de la table, lui jeta un regard désapprobateur.

— Qu'y-a-t-il ? ajouta Jan. Lizzie sait. Cela ne sert à rien de lui cacher.

— Il a demandé à vous voir ? demanda cette dernière.

— Oui. J'ignore à quel sujet. Mais il se pourrait que...

Jan s'arrêta.

— Fiona, pourrais-tu nous laisser un instant ?

Lorsqu'elle eût obtempéré, non sans un regard suspicieux en direction de Jan, celui-ci tira une chaise à côté de Lizzie et s'y assit. Lorsqu'il parla, sa voix ne fut qu'un murmure.

— Puis-je compter sur vous ?

— Compter sur moi ?

— Pour ne pas... me poignarder dans le dos. Littéralement ou non.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant