Chapitre 18 - Solitude

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Deux semaines s'étaient écoulées depuis le coup d'éclat crépusculaire de Lizzie. Les jours s'étaient égrenés avec lenteur. Elle échangeait avec Jan des banalités. Il se montrait aimable avec elle, et elle avec lui, tout en gardant une distance qui lui paraissait plus grande encore que celle qu'ils avaient arboré les semaines précédentes. Elle ne parvenait pas à en déterminer la cause. Était-ce sa colère, et son geste impulsif ? Était-ce son insistance ? Était-ce leur discussion sur Mercyng, les récits, si intimes, qu'ils s'étaient confiés ? Était-ce le dégoût du nouveau crime qu'elle allait commettre ? Elle ne savait pas, et ne pas savoir l'emplissait d'encore plus de tensions.

Jan disparaissait des journées entières. Il n'était pas rare qu'il fût déjà parti lorsque Lizzie se levait, ou qu'il rentrât si tard la nuit que son retour la réveillait. Elle se demandait s'il regrettait sa présence, leur union, sa calme solitude tout à coup brisée par l'irruption d'une femme et d'une meurtrière dans sa vie.

Elle avait fini par adopter la même stratégie. Dès qu'elle le pouvait, Lizzie s'échappait de la maison dont l'étroitesse lui pesait. Elle rejoignait Clervie en ville, ou bien elle s'y rendait seule, prenant soin de dissimuler son visage sous sa cape — elle n'avait pas la moindre envie que quiconque la reconnaisse ou s'interroge sur ses déambulations solitaires. Elle appréciait plus que tout se promener sur le bord de mer. Il lui suffisait d'imaginer que son royaume était là, au bout de l'horizon. La vie était morne en ces lieux. Tout était sombre, tout était gris. Et même ses souvenirs les plus ternes se paraient tout à coup de couleurs vives. Elle voulait retrouver Caelian. Elle voulait retrouver les jardins royaux, la Pension, le vieux théâtre.

C'était sans compter ses nuits peuplées de cauchemars et d'insomnies. Elle se réveillait avec une boule au ventre, le cœur battant à toute rompre, les lambeaux de ses songes encore accrochés à ses paupières. Et dans le noir, elle apercevait Drew Ferian, son visage bouffi, violacé, qui l'observait en hurlant, le regard brillant d'une indicible terreur. Et des mains se saisissaient d'elle — des mains aux doigts longs et fins, les doigts d'Ambroise. Mais il ne l'aidait pas. Il ne l'aidait jamais. Pourquoi n'est-il pas mort, Elisabeth ? chuchotait-il. Et elle devait se convaincre, lorsqu'elle ouvrait les yeux, que le meurtre avait bel et bien été accompli.

Ce matin, Lizzie émergea de ce sommeil poisseux lorsqu'on frappa à sa porte. Il était tard ; elle s'était rendormie sans s'en apercevoir.

— Tout va bien, freyja ?

C'était la voix de Fiona.

— Oui. J'arrive dans un instant.

— Monsieur est dans le jardin. Il souhaite vous voir dès que possible.

Lizzie haussa les sourcils, mais acquiesça.

Elle s'accorda le luxe d'un long bain pour essayer de faire disparaître les dernières traces de ses cauchemars. Elle prit tout son temps pour s'habiller et se coiffer, et descendit l'escalier avec lenteur, sans plus savoir si elle désirait faire attendre Jan, ou si elle repoussait le moment de leur discussion.

Elle emprunta le long corridor jusqu'au jardinet. L'odeur de l'humus qui gorgeait la petite cour l'enveloppa. Jan l'attendait, debout, appuyé contre le mur qui ceignait l'espace.

— Je me suis dit que nous serions plus à notre aise ici, débuta-t-il.

Lizzie hocha la tête, sondant d'une poussée de cræft les ombres qui s'épanouissaient à l'intérieur de la demeure — Fiona ne se trouvait plus dans le couloir.

— Vous souvenez-vous de cette réception chez Redstig dont je vous avais parlé ?

— Oui.

— Elle aura lieu ce soir.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant