Chapitre 22 - Un nom et une dot

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Un an plus tôt


L'hiver serait bientôt là. L'étendue herbeuse bordant le grand canal qui courait au centre des jardins royaux était recouverte de givre, et un vent violent faisait valser les dernières feuilles qui s'accrochaient aux branches. Insensible au froid qui régnait dans le crépuscule, les statues tendaient leurs bras nus en direction des cieux.

Lizzie, lorsqu'elle arriva en vue du vieux théâtre, ne sentait plus ses doigts, et elle se maudit de ne pas avoir pris ses gants. Ambroise se tenait adossé à l'embrasure de la porte de l'édifice, nullement perturbé par l'air glacé. Il avait revêtu son uniforme bleu nuit de la maison militaire du Roi, agrémenté d'une cape doublée de fourrure. Une épée au pommeau d'or rutilant pendait à sa ceinture, et des décorations étaient accrochées à sa poitrine. Ce fut ces derniers détails qui intriguèrent Lizzie.

Juste avant qu'elle ne le rejoigne, madame Constance lui avait ordonné de passer une robe propre — un ordre, comprit-elle, qu'elle avait certainement reçu d'Ambroise en personne. Elle avait donc enfilé une nouvelle tenue, et, dans le doute, avait arrangé son chignon défait, puis passé la bague de saphir à son doigt. Mais elle faisait pâle figure à côté de son mentor.

— Nous allons quelque part ?

— Vous êtes perspicace. Nous nous rendons au Palais.

— Nous nous rendons au Palais ?

— Pour un rendez-vous.

— Un rendez-vous ?

Il eut un rictus.

— Comptez-vous répéter le moindre de mes mots encore longtemps, ou pouvons-nous y aller ?

Lizzie leva les yeux au ciel.

— Vous ne m'avez pas répondu.

— Je sais.

— Je ne suis sans doute même pas habillée correctement. Vous avez votre uniforme, et même ces ridicules petites médailles.

Il lui lança un regard noir, et elle faillit s'excuser. Mais il était bien plus présentable qu'elle, et cela l'inquiétait. C'était toujours elle qui avait les plus beaux atours.

— Vous portez la tenue de la Pension. Cela fera l'affaire.

Lizzie fronça les sourcils.

— Mais...

— Je n'aime pas ce mot, Lizzie.

— Mais... Je veux dire... Je ne...

Il coupa court à sa phrase en replaçant une mèche qui s'était échappée de son chignon.

— Vous êtes parfaite. Allons-y, maintenant, voulez-vous ?

Elle s'empara du bras qu'il lui offrait. Il y avait quelque chose de rassurant dans ce bras inébranlable. Ambroise était comme un roc.

Les jardins étaient silencieux en ce début de soirée. À intervalle régulier, les lampes s'illuminaient de lueurs blafardes, ciselant sur le sol un tapis d'ombres. De rares courtisans déambulaient entre les arbres et les fontaines — il faisait trop froid pour de longues promenades, et ils se trouvaient loin du château — mais ils les regardèrent avec curiosité. Un jeune officier de la maison du Roi, au bras duquel était accroché une fille vêtue de la tenue de la Pension. Elle aurait cent fois préféré avoir revêtu une robe de cour.

Lizzie n'osait plus parler, de peur qu'on l'entende, et Ambroise ne se montrait pas plus loquace.

Enfin, le Palais apparut à leur vue, au détour d'un bosquet, ceint de bassins aux eaux bondissantes et de statues qui tendaient leurs bras vers les cieux. C'était un bâtiment gigantesque en pierres de taille, percé de tant de fenêtres que Lizzie n'avait jamais réussi à s'arrêter assez longtemps pour toutes les compter. L'allure vive que lui imposait Ambroise n'aidait pas cette fois non plus.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant