Chapitre 44 - Les comptes à rendre

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Il avait la consistance d'un rêve.

Mais il y avait eu son prénom sur ses lèvres – un murmure rauque bien réel.

Et son regard. Son regard dans lequel elle se noyait. Se consumait. Elle aurait voulu détourner les yeux pour ne plus en sentir le feu, mais ses iris refusaient de quitter les siens.

Le souffle de Lizzie s'était coupé dans sa poitrine.

Mais elle avait l'impression de respirer à nouveau.

Ambroise.

Elle se leva, ses membres comme mus d'une volonté propre. La vérité de son corps la rattrapa cependant. Elle chancela, les jambes molles. Le monde entier vacillait autour d'elle. Un tourbillon qui menaçait de l'engloutir.

Bien trop réelles, ses mains entourèrent ses avants-bras pour la stabiliser. Elles glissèrent jusqu'à ses poignets, la pulpe de ses doigts caressant ses paumes. Aussi tangibles que l'acuité du regard qui examinait à présent son visage, détaillant chaque trait, prenant note de chaque changement – la pâleur de son teint, ses joues creusées, ses yeux cernés. Ce qu'elle était devenue.

Elle sut qu'il n'aima pas ce qu'il vit.

Ses doigts s'emparèrent des siens. Il monta sa main gauche à ses lèvres, et embrassa l'alliance qui s'y trouvait.

Lorsqu'il l'abaissa, ses doigts étaient crispés sur les siens, serrant à lui en faire mal. Le cœur de Lizzie éclata dans sa poitrine. Il flottait dans les prunelles d'Ambroise une curieuse lueur, mélange de soulagement et de colère.

Il déglutit, sur le point de parler.

Un discret raclement de gorge rappela Jan à leur présence.

Lizzie recula, se rattrapant au dossier de la chaise pour supporter son poids. Elle ouvrit la bouche pour faire les présentations, mais Ambroise la devança en s'inclinant devant le jeune homme.

— Ambroise Auguste, le frère de Lizzie. C'est un plaisir de vous rencontrer enfin, monsieur.

Les traits de Jan se figèrent. Son regard passa d'Ambroise à Lizzie, perdu. Mais il se ressaisit.

Il lui rendit son salut avec un sourire qui aurait tout aussi bien pu passer pour un rictus.

— Tout l'honneur est pour moi. Je ne pensais pas avoir un jour l'occasion de faire votre connaissance.

Le ton de Jan était neutre, mais Lizzie aurait juré percevoir une pointe d'ironie étinceler dans son regard. Elle lui jeta un coup d'œil d'avertissement. La commissure des lèvres d'Ambroise se tordit, et la jeune femme se raidit.

Son cœur battait si vite dans sa poitrine. Elle se demanda si Ambroise entendait ses pulsations erratiques. Le sien, s'avisa-t-elle d'une impulsion de cræft, était tranquille — sans doute un peu plus rapide qu'à l'accoutumée, mais régulier.

— Des affaires urgentes m'ont amené à Fort-Rijkdom, expliqua-t-il. Je crains de n'avoir pu annoncer mon arrivée plus tôt.

— Je vois, répondit Jan d'un ton affable. Je gage que vous avez fait bon voyage ?

— J'apprécie peu les voyages en mer. Comme vous, Élisabeth, je présume ? Il semblerait que vous ayez préféré éviter les désagréments d'un retour en Ardrasie.

Ah. Ambroise avait choisi une attaque frontale.

Il se retourna légèrement vers elle, et elle s'appliqua à fixer la table sans vraiment la voir.

Incapable de croiser son regard.

Incapable de trouver la moindre réplique.

Elle se retrouvait propulsée des années en arrière, lorsqu'il la réprimandait. Mais alors, elle parvenait à trouver une réplique impertinente, qui lui valait souvent une nouvelle cascade de remontrances. Cette fois-ci, rien ne lui vint. Ses lèvres demeurèrent scellées et elle ne parvenait plus à penser.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant