L'après-midi était bien avancée, et Lizzie luttait contre la douleur qui tenaillait son dos depuis plusieurs heures. Elle avait l'impression que sa colonne vertébrale allait se rompre d'un instant à l'autre, et que seul son corset l'empêchait de se disloquer. Elle avait froid, et la chaleur de l'âtre ne parvenait pas à la réchauffer.
Voilà un mois que Lizzie s'était détournée du navire qui devait la ramener en Ardrasie. Il ne s'était pas écoulé un jour sans qu'une souffrance ne tiraille son omoplate, parfois douce, parfois cruelle. Jan et elle ne se parlait plus. Le jeune homme attendait qu'elle se décide enfin à le tuer, elle le savait. Et ce funeste destin planait entre eux, comme une ombre gigantesque, se dressait entre eux tel un précipice sans fond. Elle voyait les cernes qui mangeait ses yeux ; et il voyait les siens. Il ne parvenait pas à s'endormir, hanté par l'idée de sa mort prochaine, tremblant de la peur qui le rongeait. Tout comme Lizzie.
Lorsque la veille Clervie avait émit le souhait de les inviter chez elle, Jan avait accepté avec empressement. Il fallait donner le change ; et elle ne se risquerait pas à l'abattre en public. Mais Lizzie était aussi dans l'incertitude que lui. Et elle ne pouvait le lui avouer. Elle ne pouvait prétendre connaître Jan, mais elle savait qu'il n'accepterait pas ce qu'elle faisait s'il l'apprenait. S'il apprenait qu'elle supportait les foudres de Mercyng pour lui.
— La situation semble plus calme, désormais. Plus de ces meurtres affreux. J'avoue avoir eu tellement peur pour Brenn. Et pour vous aussi, Jan.
Lizzie tressaillit. Sa marque la brûlait et elle luttait pour conserver un visage neutre.
Mais Jan, lui, afficha un sourire poli. Seul la crispation de sa main sur la tasse de thé qu'il tenait le trahit – si infime que Lizzie fut la seule à le remarquer.
— Pour moi, vraiment ?
— Eh bien, il y a eu ce commerçant, au début. J'ai eu peur que le responsable ne s'attaque à d'autres hommes de la profession.
— Le responsable ? Pour vous, il n'y aurait donc qu'un seul coupable ?
— Si plus d'un seul individu commettait ces atrocités, il y aurait lieu de s'inquiéter pour Fort-Rijkdom. Je ne pense pas que ce pauvre valet ait réellement été responsable. Mais il fallait un coupable.
Lizzie sentit la nausée l'envahir. Son esprit avait fabriqué ses propres images de ce jour affreux où le jeune homme avait fini au bout d'une corde. Elle imaginait son visage bleui. Et ces images jouaient dans sa tête, encore, et encore.
— Et qui, selon vous, serait responsable ? s'enquit Jan. Un royaume ?
Lizzie serra les dents. Il jouait avec elle.
— Eh bien, poursuivit Clervie, je ne me risquerais pas à formuler une hypothèse, mais... Qu'as-tu, Lizzie ?
— Je... je ne me sens pas très bien.
Son dos était en feu, désormais.
Un vertige s'empara d'elle, et elle crut que le sol venait de s'ouvrir sous elle. Elle poussa un gémissement. Tout tournait, tout vacillait, tout se délitait. Elle se mit à haleter.
— Lizzie ! s'exclama Clervie.
La souffrance qui irradiait de son dos était insupportable, comme un magma en fusion qui se répandait dans ses veines. Elle plaqua sa main sur son visage pour étouffer un cri.
Jan s'approcha d'elle. Il lui avait à peine adressé la parole au cours des derniers jours, et elle vit une certain méfiance briller dans ses yeux. Se demandait-il s'il s'agissait d'un piège ? Lizzie n'eut pas le temps de s'étendre sur cette possibilité. Une nouvelle vague de douleur la tétanisa, et elle éclata en sanglots en se recroquevillant sur elle-même.
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La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...