Chapitre 45 - Les rêves brisés

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L'atmosphère, dans la salle à manger était étouffante. Fiona s'activait pour remplir les verres de vin, resservir les assiettes qui croulaient déjà sous les mets.

Lizzie, elle, ne pouvait rien avaler. Son ventre était si serré qu'il en était douloureux.

Elle se racla la gorge.

— Avez-vous passé une bonne journée, Jan ?

Il était rentré pile à l'heure du dîner. Elle soupçonnait qu'il s'était éternisé plus longtemps que nécessaire chez son père. Elle ne pouvait le lui reprocher. À sa place, elle aurait probablement fui, elle aussi.

Et à présent, la présence d'Ambroise pesait entre eux.

Elle songeait à sa proposition de partir pour le Nord. C'était il y a quelques heures à peine. Depuis, son monde avait eu le temps de s'écrouler, ses certitudes annihilées par un seul souffle, un seul regard. Et Lizzie ne pouvait détacher ses yeux du couteau qu'Ambroise maniait, découpant méthodiquement la viande dans son assiette. Elle le revoyait lancer des dagues dans le vieux théâtre. Il atteignait toujours sa cible. Toujours.

— Ce fut fort peu divertissant, répondit Jan après un silence, je dois l'avouer.

Il eut un regard vers Ambroise, et Lizzie comprit qu'il n'en dirait pas davantage. Les tensions qui gangrenaient les relations entre les royaumes étaient trop fortes pour qu'il se risque à parler commerce avec un Ardrasien. Il toussota à son tour.

— Êtes-vous déjà venu au Pays d'en Haut, monsieur ? fit Jan.

— Quelques fois, répondit Ambroise d'un ton si neutre qu'il en paraissait ennuyé.

Le silence retomba, et Lizzie se mordit la lèvre. Elle n'avait qu'une seule hâte : que le souper s'achevât.

— Avez-vous un endroit où loger ?

— Lizzie m'a aimablement proposé de demeurer dans votre maison pour la nuit.

Lizzie n'avait rien proposé du tout. Ambroise s'était lui-même donné cette liberté. Elle jeta un regard à Jan, espérant qu'il y lirait son explication ; elle était incapable d'émettre un quelconque autre signal qu'Ambroise n'aurait pas perçu.

— Ce sera un plaisir de vous accueillir. Fiona vous préparera un couchage dans le bureau, si cela vous convient.

Le monde tangua brutalement autour de Lizzie, ses oreilles bourdonnèrent. Si Jan cédait le bureau à Ambroise, cela signifiait qu'il allait dormir dans sa chambre. Pour la première fois depuis longtemps, elle s'avisa que la pièce appartenait à Jan plus qu'à elle, et qu'elle le privait de son lit depuis des mois.

Grands dieux, cela ne faisait rien. Ce n'était qu'une nuit. Elle dormirait par terre.

Lorsqu'elle reprit ses esprits, les deux hommes échangeaient des banalités, mais la conversation s'arrêta bien vite. Dans le silence qui s'étirait, Lizzie peinait à respirer. Ses yeux retournaient sans cesse se poser sur le couteau qu'Ambroise avait en main. La jeune femme ne pouvait s'empêcher de voir la lame pour ce qu'elle était : une arme en puissance. Et c'était, comprit-elle en croisant son regard un bref instant, exactement ce qu'Ambroise souhaitait qu'elle voie.

Le malaise la gagna. Il pouvait tuer Jan.

Là. Maintenant.

N'était-ce pas, au fond, ce qu'elle désirait ? Elle ne savait pas. Elle ne savait plus.

Et ce silence, lourd, oppressant.

— Je ne crois pas vous en avoir informé, fit Lizzie. Clervie attend un enfant.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant