Chapitre 32 - Cher frère

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Cher frère,

À l'heure où vous recevrez cette lettre, ces deux nouvelles vous seront sans doute déjà parvenues. Aksel Emerson, l'homme qui avait pris la succession de Redstig après son assassinat, est mort. Il est mort dans notre maison, sous nos yeux, et je tremble d'écrire ces mots.

La garde suspecte un empoisonnement. On nous accuse, mais vous devez me croire : ni moi ni Jan ne sommes responsables.

Je sais que, de là où vous êtes, vous ne pouvez pas agir. Vous êtes aussi impuissant que moi.

J'ignore si je serai en vie quand J'ignore ce qu'il va se passer, Ambroise. Nous ne pouvons plus sortir de la maison jusqu'à temps que cette affaire soit éclaircie. Si la situation venait à empirer, je vous en conjure : implorez notre Roi d'intervenir, implorez-le de nous sauver.

Je vous embrasse et prie les dieux pour que cette missive vous parvienne,

À vous,

Lizzie Prudence


Lizzie reposa la plume.

Une frustration intense la saisit. Elle ne pouvait pas parler de Belvild, expliquer ce qu'elle savait. La lettre serait sans nul doute interceptée, et elle ne pouvait faire courir un tel risque à Fiona et à Jan.

Une sensation étrange serra son ventre.

Pourquoi pas ? Elle ne leur devait rien. Elle pouvait les dénoncer. Et s'en tirer indemne.

Non. Non. Jan aurait tôt fait de la dénoncer, elle — il ne garderait pas le silence sur ses exactions si cela pouvait lui garantir la vie sauve. Elle ne savait pas. Une lourde chaîne de secrets la reliait à lui, et elle ignorait comment la briser.

Elle hésita à réécrire le pli pour effacer la phrase glaçante qu'elle avait barrée. J'ignore si je serai en vie quand vous recevrez cette lettre. Mais elle décida de la conserver. Car il ne s'agissait pas que de la menace d'une condamnation qui pesait au-dessus de sa tête ; c'était aussi celle du pacte de cræft. Elle devait tuer Jorgen. De combien de temps disposait-elle, avant que le dieu sombre n'exprime son mécontentement ? Il avait fallu un mois pour faucher Redstig, et elle avait déjà ressenti les effets de son impatience. Si Ambroise voyait cette ligne, il comprendrait peut-être.

Elle relut la lettre, puis modifia sa signature. Lizzie Prudence van Stoker. Si la lettre était lue avant de parvenir à Ambroise, elle devait jouer le rôle qu'on lui avait assigné, et il lui parut qu'elle semblerait plus inoffensive ainsi — moins indépendante, et moins dangereuse.

Mais elle ne se faisait guère d'illusions. Ambroise ne pourrait rien pour elle.

Il le lui avait assez signifié.


***


Et si on m'accuse ? Si je me fais prendre ?

Tu ne te feras pas prendre, Lizzie. Combien de fois devrais-je te le répéter ? Sois prudente, et tout ira pour le mieux.

Et si je commettais une erreur ?

Tu t'en tireras. Tu as plus de ressources que tu ne le penses. Tu feras ce qui doit être fait pour t'en sortir.

Cela faisait à peine deux jours, et Lizzie n'en pouvait plus d'être enfermée. Ils avaient l'interdiction absolue de quitter leur foyer, et elle tournait en rond. Elle passait ses journées dans sa chambre, des heures et des heures à rejouer dans son esprit ses souvenirs, cherchant quoi que ce fut qui pourrait l'aider. Mais elle était à peu près certaine qu'Ambroise n'avait jamais prévu une telle situation. Qu'elle soit suspectée d'un meurtre qu'elle n'avait pas commis, et qui, pourtant, pouvait dévoiler tous les autres.

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant