« Nous viendrons en votre sombre royaume,
C'est là la destinée des hommes.
Mais laissez-nous connaître encore
Un jour la lumière de la vie. »Prière à Mercyng
— Vous vous êtes habillée en noir, fit Jan lorsqu'elle entra ce matin-là dans la salle à manger.
C'était le jour de Mercyng. Un jour sombre. Un jour de deuil. Bien sûre qu'elle s'était habillée en noir. Avait-elle commis un impair ? Elle fouilla dans sa mémoire, sans réussir à se souvenir des coutumes du Pays d'en Haut ou de Wallend.
— C'est la célébration de Mercyng, aujourd'hui. C'est... c'est la tradition, dans mon royaume.
— Ici aussi.
Lizzie fronça les sourcils. Il portait un gilet pourpre, qui rehaussait l'éclat immaculé de sa chemise.
— Alors pourquoi n'êtes-vous pas vêtu de noir ?
Les mâchoires de Jan s'étaient crispées avan même qu'elle ne termine sa question.
— Si vous souhaitez vous rendre à la kirk, ce sera sans moi. Je n'ai personne à pleurer.
— Pas même votre mère ?
Elle se mordit la langue, se demandant ce qui avait bien pu lui prendre. C'était un sujet bien trop intime pour qu'elle puisse l'aborder avec lui.
— Ma mère était útlende. Il serait mal vu de porter son deuil en public.
C'était affreux, et Lizzie sentit son estomac se nouer.
Chaque année, elle avait porté le deuil de ses parents, à l'instar de tous les orphelins de la Pension. Il lui était impensable de ne pas le faire.
— Vous pourriez le porter en privé, suggéra-t-elle.
La douleur qui brilla dans le regard de Jan disparut bien vite, et ses traits composèrent un air neutre. Il avait l'habitude de faire comme si de rien n'était, comprit Lizzie. L'habitude de masquer sa souffrance. Et lorsque le jeune homme parla, sa voix était calme.
— Quelle importance ? Elle est morte, et les portes du royaume de Mercyng ne se sont pas ouvertes pour elle.
— Pourquoi...
— Elle était une Útlenda. L'héptarchie divine ne signifiait rien pour elle.
— Mercyng accueille tous les hommes au royaume sombre.
Jan eut un sourire. Cette fois, il ne put dissimuler l'amertume qui y jouait.
— Croyez-vous ? Nos dieux ne se sont jamais préoccupés du sort du peuple de ma mère.
— Sohl et Lewyven ont créés les hommes. Ne me faites pas croire que...
— Le moment est mal choisi pour un débat théologique, madame.
Il avait raison, et Lizzie détourna le regard, confuse.
Jan croisa les mains sous son menton.
— Ma mère rendait visite à sa famille, fit-il brutalement. Loin au nord, dans un village qui se situait alors à l'extrême limite des terres connues. Je l'accompagnais, comme chaque année. Nous y allions lors de la saison chaude, lorsque les cieux étaient cléments. Mon père ne tenait pas à ce que je demeure dans les terres sauvages en plein hiver. Nous y restions plusieurs mois. Cette fois-ci, la guerre entre Wallend et Nærmark touchait à sa fin, une trêve devait être signée. Mais les combats ont repris, et au nom d'alliances inégalitaires, le Wallend a sollicité le renfort des Útlends. Les hommes du village sont partis combattre. Ils ont décimés les soldats du Nærmark.
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La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...