Chapitre 41 - Les adieux

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La diligence s'approchait du port. La brume matinale qui s'accrochait aux toits des maisons serrées les unes contre les autres le long du canal rendait l'air humide, et Lizzie frictionna ses bras en frémissant.

Jan avait tenu à l'accompagner. Sans doute pour préserver les apparences. Lorsqu'elle avait gagné la salle à manger, il l'attendait, assis à l'extrémité de la table. Lizzie s'était installée à l'autre bout du plateau d'acajou, là où était posées une tasse de café et une assiette chargée de nourriture. Il y avait tant de distance entre eux, avait-elle comprit, qu'elle ne risquait pas de l'empoisonner.

Ils n'avaient pas prononcé le moindre mot. Il était simplement monté dans la diligence à sa suite. Elle aurait eu le temps de le tuer cent fois pendant le trajet, mais elle était restée immobile, ses poings fermés, loin de la lame dissimulée sous ses jupons. Elle n'avait pas eu le courage de faire périr Jan hier. Elle ne l'aurait pas non plus aujourd'hui, et encore moins de l'abattre d'une dague en plein cœur.

Elle fut tirée de ses pensées par la vue du port.

Jan l'aida galamment à sortir du fiacre lorsque celui-ci s'arrêta devant les entrepôts, mais il n'y avait aucune chaleur dans son geste. Ce n'était qu'une façade exposée à la vue de Fort-Rijkdom.

Le froid mordant de l'extérieur la frigorifia instantanément. Des oiseaux criaillaient au-dessus des navires à quais. Une légère couche de neige, rendue boueuse çà et là par les passages des marins, formait une croute qui craquait sous leurs pas.

Son omoplate l'élançait, propageant une douleur aiguë le long de sa colonne vertébrale. Jan était toujours silencieux derrière elle. Il n'y avait pour seul bruit que le vent qui faisait virevolter les jupons de Lizzie et claquer la veste du jeune homme.

Il était encore tôt, et le port était calme. De rares cris des dockers émergeaient à travers le brouillard matinal. Ce fut surtout les gardes en uniforme qui attrapèrent un instant l'attention de Lizzie. Ils sillonnaient les quais, leurs armes bien en évidence, leurs costumes d'un rouge ensanglanté tranchant sur l'air d'un blanc paisible.

Le fantôme du navire aux voiles déployées se dressait dans la brume, et sur les quais était postée la silhouette d'un homme, mains dans le dos. Même à cette distance, Lizzie pouvait apercevoir son regard, aussi vif que celui d'un rapace. Il considérait les allées et venues avec tant d'intensité qu'elle frémit lorsqu'elle sentit ses prunelles se poser sur elle. Ambroise avait le même regard. Un regard qui voyait tout, intransigeant, perçant. Lizzie déglutit péniblement, jeta un coup d'œil à Jan, qui hocha la tête. La jeune femme s'approcha, Jan sur ses talons, pendant que, sur un simple signe du marin, des hommes s'avançaient vers la diligence pour décharger les effets qu'elle emportait avec elle.

L'homme était un quarantenaire au physique sec, trapu. Son visage à demi dissimulé sous un tricorne en feutre aurait pu être charmant si une balafre ne défigurait pas sa lèvre.

— Êtes-vous Jeremias Malan ?

Il se fendit d'une brève révérence, et parla en ardrasien :

— En personne, madame van Stoker. Monsieur, salua-t-il Jan avec un hochement de tête.

La gorge de Lizzie se serra lorsqu'il reporta son regard d'azur sur elle.

— Nous n'attendions plus que vous.

— Nous partons déjà ?

— Nous n'allons pas attendre toute la journée. Je vous laisse faire vos adieux, ajouta-t-il en wallend.

Il s'éclipsa pour aller s'enquérir auprès d'un marin, au bout du ponton qui menait à son bâtiment.

Lizzie prit une inspiration tremblante, et se retourna vers Jan. Mais tandis qu'elle croisait ses iris sombres, elle ne trouva rien à dire. Quels adieux adressait-on à la marionnette d'une telle mascarade ? Quels adieux adressait-on à un homme que l'on avait essayé de tuer ?

La Lame des Bas-Royaumes / 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant