En cette heure bien trop matinale, il faisait froid dans le couloir, et Lizzie resserra le châle qu'elle avait passé sur ses épaules. Une neige lourde recouvrait la ville depuis des jours, et une brume épaisse planait sur les canaux. Depuis l'étage, on voyait à peine le sol en contrebas, et l'éclairage qui parsemait la rue prenait des allures spectrales.
Lizzie avait mal à la tête. La marque de Mercyng à son épaule la brûlait — il était plus que temps d'offrir au dieu sombre son dû. Andries Jorgen. Le Haut-Régent Wallend. Mais comment faire, alors qu'elle ne pouvait sortir ?
Il lui semblait que le monde entier sombrait dans le chaos. Et elle ne pouvait rien faire.
Prudent, le Nærmark n'avait pas renommé de Haut-Régent, après avoir reçu l'assurance de la part de l'Ardrasie que le bourgmestre Wallend, dont le royaume était tenu pour l'heure responsable des assassinats, serait tenu sous haute surveillance.
C'était donc Ascelin de Glaves, et par lui l'Ardrasie, qui tenait les rênes de Fort-Rijkdom.
Tout le monde dormait encore dans la maisonnée, mais Lizzie, elle, avait été arrachée à ses songes poisseux depuis des heures. Depuis quelques jours, Mercyng lui volait ses nuits, pour y distiller cauchemars, douleurs et insomnies. Il réclamait le sang qu'elle lui avait promis.
Andries Jorgen.
Elle échafaudait un millier de plans lorsque le dieu sombre lui refusait le sommeil. Toutes ses idées étaient incroyablement périlleuses. Tromper la vigilance des gardes stationnés devant la maison était jouable, quoique risqué. Mais comment se rendre jusqu'à Andries Jorgen ? Elle ne savait même pas où il vivait. Et après l'assassinat des autres Haut-Régents, sa propre demeure devait être bien gardée. Lizzie n'avait pas envie de rejouer la scène qui s'était passée chez Redstig. Si on l'apercevait, après les soupçons dont elle faisait déjà l'objet, elle serait brûlée vive sans la moindre forme de procès.
Elle devait trouver un moyen de les innocenter, Jan et elle. Et vite.
C'était à cela qu'elle pensait, lorsqu'elle se dirigea vers le salon et vers la chaleur réconfortante du poêle qui projetait sa lueur rougeâtre sur le sol.
Lorsqu'elle passa la porte, elle réprima un cri de surprise.
Le Haut-Régent ardrasien se tenait là, confortablement assit dans un fauteuil.
Ascelin de Glaves.
Elle plaqua une main sur son cœur aux battements erratiques.
— Que faites-vous ici ? balbutia-t-elle.
Ascelin de Glaves. Elle ne l'avait vu qu'une seule fois, à Caelian. Lui ne l'avait pas aperçue ; elle état cachée derrière un masque. C'est de lui que vous tiendrez vos ordres, Lizzie, avait soufflé Ambroise. Observez-le bien. Que déduisez-vous ?
Il était semblable à la vision qu'elle en avait eue alors. C'était un homme grand, sec et austère. Il devait approcher de la soixantaine, et tout, dans sa posture, dans ses vêtements parfaitement coupés et lissés, dans la symétrie parfaite des bagues d'or passés à ses doigts, dans la froideur de ses yeux bleus, clamaient l'ordre et la sévérité. Et le pouvoir.
Il lui renvoya un regard indéchiffrable.
— Bonjour, madame. Ne vous a-t-on pas appris les bonnes manières, à la Pension Royale ?
Lizzie sentit ses joues s'empourprer, et son ventre se serrer.
Ressaisis-toi, s'admonesta-t-elle — et ce fut la voix de madame Constance qu'elle entendit.
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La Lame des Bas-Royaumes / 1
FantasyChaque année, des jeunes femmes de basse extraction sont dotées par le royaume et traversent l'Entre-Mer pour peupler les colonies du Pays d'en Haut. Un début d'été, Élisabeth Prudence, orpheline de la Pension royale, embarque pour ce nouveau monde...