La serveuse

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Le 1 er juin, 9:30

Je me suis levé tôt en ce premier jour du mois de juin. Et pour cause: aujourd'hui, c'est mon premier jour de travail. J'ai trouvé un job grâce à Cristian dans un bar en ville, dans un quartier de jeunes. C'est "le frère de l'amie de l'ami" à Cristian qui y travaille et qui en a parlé à son patron. J'ai rencontré rapidement l'homme avant qu'il ne me propose de travailler tout le mois de juin, de dix à vingt heures. Si je le veux, je peux faire des heures supplémentaires, et c'est ce que je pense faire. J'ai tellement besoin de cet argent, et je m'en suis rendue compte lorsque je recherchais des studios à Cambridge. Rien en dessous de sept cent livres par mois. Alors, je décide de me bouger le cul, quitte à ne plus avoir de temps pour moi.

Mon emploi du temps ces prochains mois est très exact. Je passe le mois de juin à travailler. Ensuite, je rentre chez mes parents à partir de la mi-juillet, et reviendrai à Madrid que pour un jour: pour quitter l'Espagne et démarrer une nouvelle année.

Loin des problèmes, de mes repères et d'Ander.

Je ne peux pas confirmer avoir fait une croix sur lui, mais je n'ai plus eu de nouvelles de sa part. Il évite de parler à Lucrecia, ou du moins, lui demande de ne pas me parler de lui. Qu'est-ce que je peux faire? Rien d'autre que l'oublier. Toute façon, ce qui est fait est fait. Puis, ça va être facile de l'oublier car il a déserté Madrid il y a deux semaines. Si je ne savais pas où il était, je le croirait vagabond. Mais il continue de parler aux autres. À tous, sauf à moi.

Je lui plais, et pourtant, il ne m'envoie aucun message.

Penser à lui me met en retard, et je ne peux pas me le permettre.

Une fois arrivée dans le bar vide, mon patron me donne un tablier et m'ordonne de venir avec une chemise blanche et un beau pantalon ou, au moins, un jean pas déchiré. Comment l'ami de Cristian (que je devine aussi fou que lui) est d'accord avec cette tenue réglementaire?

En sortant du bureau, l'ami du brun semble me reconnaître.

"Siro, c'est bien toi?" C'est un garçon aux cheveux châtain clairs courts, grand et baraqué qui m'interpelle. Il est habillé en t-shirt manches courtes qui fait ressortir ses bras musclés. Il n'a pas l'âge de mon ami, c'est impossible. Je m'empêche de lui demander son âge lorsque je le salue. Il me regarde de haut en bas avant de me faire la bise. "Cristian ne m'avait pas dit que tu étais aussi belle. Je me serai fait beau."

Je ne sais quoi dire. Ce garçon n'est pas mon genre mais recevoir des compliments fait toujours plaisir, alors je lui réponds par un sourire timide.

"Je m'appelle Martiño et ça fait cinq ans que je travaille ici. Je vais te faire visiter le resto pour que tu t y habitues."

Au bout de trente minutes, la visite était finie. Avant de m'envoyer voir une autre serveuse qui me montrera comment bien servir, il me pose quelques questions sur moi. Pourquoi je veux travailler ici, où est-ce que j'étudiais et si je venais d'ici. Des questions basiques. Mais une m'a interpellé:

"Tu fumes?" Me demande-t-il une fois dehors, une cigarette dans le bec.

J'étais déstabilisé. Il crache la fumée doucement sur moi et me donne un regard confiant. "... des joints tu veux dire?" J'ai déjà lu quelque part que cracher la fumée sur quelqu'un voulait dire qu'on l'intéressait. Ce Martiño semble très dragueur. En même temps, avec ce physique, il peut se le permettre.

"Non, en général. Parce qu'ici, c'est le seul moyen d'avoir une pause."

Je déglutis. Avec cette chaleur, si on ne m'accorde pas de pause je vais m'évanouir. "Je m'y ferai, alors." Il pouffe. "Comment tu connais Cristian?"

"Mon frère, Fran, est ami avec un ami à lui." Cela donnait plus de sens à la différence d'âge qu'ils ont.

"C'est marrant, mon frère aussi s'appelle Fran." Informais-je.

"On a plein de points communs." Ajoute-t-il avec un regard charmeur. Il a de magnifiques yeux, mais il est trop direct, ce qui me fait peur, et enlève tout le charme du garçon.

Je ne fais rien d'autre que pouffer. "Tu as commencé à travailler dans ce resto à quel âge?"

"Dix-huit ans. J'avais commencé des études de dessin mais ça m'a pas plu."

Si je lui faisais remarquer que j'étudiais quelque chose similaire à lui, j'allais encore être gênée. Alors j'ai juste acquiescé. Il a donc vingt trois ans. Finalement, il m'a amené vers Anita, une serveuse avec plein de piercings, pour me montrer des techniques pour être efficace.

J'ai commencé mon premier service et c'était catastrophique. J'ai cassé deux verres et j'ai oublié de rendre la monnaie à plusieurs clients. Martiño et Leo, un autre serveur, m'ont assuré que c'était normal le premier jour.

Alors, je venais au travail chaque jour avec un but différent.

Le deuxième jour, j'avais pour mission de ne pas oublier de poser l'addition sur la table. Le troisième, de bien écrire les commandes sur le papier pour les cuisiniers. Le quatrième, demander la cuisson des viandes. Je m'améliorais et l'équipe le voyait. J'avais même acheté une chemise pour l'occasion. Je me suis inventée une addiction à la nicotine et je passais mes deux premières semaines avec le châtain derrière le resto.

Au bout de la deuxième semaine, j'ai réussi à mieux cerner l'équipe. Je sais maintenant que le patron est un vrai tocard et ne sait pas comment je m'appelle. Martiño est le serveur le plus beau de l'équipe et il en joue pour gagner des pourboires. Mais il utilise aussi son charme pour avoir mon numéro, mais jusqu'ici, j'ai toujours trouvé une parade. Il n'est pas la connaissance de Cristian pour rien. Leo est super antipathique avec les clients mais un vrai sucre avec nous.

Tous les midis, nous mangeons tous les trois. Le fait d'être très peu de fois dans mon appartement, à passer du temps avec Lu ou les autres me rend triste. Je ne les vois plus beaucoup.

Le 29 juin, 15:45

Voilà à quoi ressemble ma vie depuis quelques semaines.

Je me demande souvent si je n'en saurai pas là si, avec Ander, nous avions arrêté d'être méchant l'un envers l'autre plus tôt.

Peut-être qu'à cette heure là, nous serions ensemble, j'aurai refusé la proposition pour Cambridge, je filerai le grand amour avec celui que j'aurai aimé. Sauf que la vie en a décidé autrement.

Je crois fortement au destin. Si une chose se passe c'est pour une bonne raison, et inversement. Si une chose ne se passe pas, c'est pour une bonne raison.

Si, à cette heure-ci, je ne suis pas dans les bras du bouclé, c'est parce que quelque part (dans les étoiles où dans mon for intérieur) on me criait de ne pas le faire.

Et un mois de silence radio de la part d'Ander me pousse à croire qu'il me l'a dit, mais ne le pensait pas vraiment. Après tout, peut-être qu'il n a jamais connu l'amour. A-t-il déjà été amoureux?

Leo me sort de mes pensées en agitant mon bras posé sur le comptoir.

"Y a du monde." Il pointe un groupe de personne depuis sa caisse.

Lorsque je me retourne vers le groupe, je remarque qu'il n y a que des garçons. Et ce que je remarque surtout, c'est que je les reconnais presque tous. C'est le groupe d'ami d'Ander.

Ma mission d'aujourd'hui est de ne pas perdre la face.

Promiscuité - Ander MuñozOù les histoires vivent. Découvrez maintenant