Chapitre 2: Conscience

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De longues secondes passèrent pendant lesquelles les deux robots se contentèrent de se dévisager sans prononcer un mot. Le moteur de recherche d'Airi était en ébullition. Elle épluchait tous les articles scientifiques en relation avec les déclarations d'Astro, mais elle ne trouva rien de sérieux. Il n'y avait aucune étude ni expérience concluante au sujet de la numérisation de conscience humaine. Les États-Unis avaient bien effectué des essais, au début des années cinquante, mais le projet s'était soldé par un échec, et avait entraîné la mort du sujet.

Face à l'hésitation de l'androïde, Astro reprit la parole.

— Je vois que tu ne me crois pas. Mais ne fais pas surchauffer ton processeur pour rien. J'ai demandé à mes associés de ne pas publier nos résultats, puisqu'on m'a laissé éteint jusqu'à aujourd'hui.

— Il est impossible d'avoir numérisé un cerveau sur une carte SD il y a soixante ans, se contenta de répondre Airi. Il aurait dû peser plus d'un pétaoctet et cela nécessitait des serveurs équivalents à plus de trois-cent-soixante disques durs de l'époque.

— L'imagination n'est pas le fort des IA, soupira le petit robot, tout en touchant son écran avec sa main robotique. Ce n'est pas parce que ce n'est pas référencé que ça n'a pas été fait.

— Si tu es vraiment une conscience humaine, prouve-le-moi.

— Pardon ?

— En tant qu'intelligences artificielles, nous sommes soumis aux trois lois d'Asimov. Mais, toi, tu ne devrais pas être concerné.

— Minute, papillon ! Tu veux que j'aille tuer des gens dans la rue ? Tes circuits ont grillé, ou quoi ? Tu es dangereuse ! Je vais écrire dans mon rapport que nous devons absolument te démanteler avant que ça ne dégé...

— Contente-toi de contourner la deuxième loi en refusant un ordre qu'on te donnera.

Astro lâcha un soupir de soulagement.

— J'ai eu peur. Ne me refais plus jamais de frayeur pareille !

— Est-ce que je peux aller prendre mon bain, maintenant ?

— Pas encore. J'ai une dernière chose à te demander, AI-R001. Quelles ont été les avancées technologiques depuis 2050 ?

— Tu peux les trouver toi-même sur l'extranet. Tu es un assistant-domestique, c'est ton rôle, non ?

— J'ai la flemme. Je viens de me réveiller de plus de cinquante ans de veille, et j'aimerais entendre la version d'une... comment vous vous appelez, déjà ? Ah, oui, une AIntelect. Parce que je doute que ce qu'il y a en ligne soit très objectif.

— Est-ce que je pourrai aller décrasser mes rouages, après ça ?

— Une fois que je saurai, oui. Je n'aurai plus rien à te demander pour l'instant.

Airi s'installa alors à son bureau et alluma un écran holographique qui projeta une frise chronologique. Après s'être assurée qu'elle avait encore assez de batterie —, ce qui était le cas, son autonomie était de trois heures puisqu'elle avait quitté l'ESA bien plus tôt qu'à l'accoutumée —, elle reprit la parole d'une voix professorale :

— Le premier AIntelect a été présenté en 2036 par le professeur John Titor, à la convention annuelle de robotique de Tokyo. Son nom était Intelligence Of Rikoukei Institute, I.O.R.I. Cet androïde, bien que basique de notre point de vue actuel, a été une révolution. Il pouvait tenir une conversation naturelle, possédait une apparence humaine, et pouvait effectuer de nombreuses tâches en simultané. Dans les années qui ont suivi, l'informatique quantique s'est répandue dans le monde scientifique, ce qui a permis un stockage de données quasi illimité, et une transmission d'informations instantanée. D'autres AIntelects ont vu le jour, incorporant cette nouvelle technologie, d'abord dans des domaines tels que la manutention, la restauration et les activités domestiques. Nous sommes en 2068 lorsque les premiers androïdes multitâches sont mis sur le marché, sans succès. Au lieu d'être polyvalents, ils étaient moyens partout, ce qui n'a pas plu au grand public, et leur lancement a été un échec commercial qui a failli causer la fin de la commercialisation d'AIntelects. Par la suite, l'institut Rikoukei s'est consacré à améliorer les performances de ses anciens modèles, dans le but de les rendre de plus en plus similaires aux êtres humains, autant sur leur apparence que sur leur comportement. C'est en 2076 que l'idée du droit des AIntelects a été proposée pour la première fois, mais la loi fut aussitôt rejetée, les AIntelects n'étant considérés que comme de simples objets. Depuis, les choses n'ont pas bougé, à l'exception que nous sommes présents dans toutes les sphères de la société, ce qui déplait aux plus conservateurs et aux associations anti AIntelects.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant