Chapitre 17: Cogito Ergo Vivo

4 3 0
                                    

Un monde aux couleurs chatoyantes. Des créatures majestueuses, dangereuses, effrayantes et mystérieuses. Des donjons sombres, remplis de trésors qui n'attendaient que d'être découverts. Des tavernes où les rires et la bonne humeur se mêlaient aux histoires fabuleuses et épiques des aventuriers. Et un compagnon de route inestimable.

Tels étaient les tout premiers souvenirs d'Airi en ouvrant les yeux dans la réalité. Elle ignorait d'où provenaient ces images, mais elles étaient gravées dans sa mémoire interne, dans un dossier impossible à modifier ou à supprimer. Et, en même temps, elles étaient floues, distantes, comme corrompues.

La chercheuse n'en avait jamais parlé à son créateur. Mais, peut-être étaient-elles à l'origine de tous les bugs qui avaient ralenti son développement, et rendu son lancement difficile. Airi chérissait ces souvenirs copiés sur son disque dur. Toutefois, ils la terrifiaient autant qu'ils la fascinaient. Elle avait l'impression que le secret de sa conception, le but de son existence, la raison de sa création se cachait derrière. Alors, elle avait enfoui ces fichiers au plus profond de son système d'exploitation. Elle avait même effacé le chemin qui permettait d'y accéder afin que personne ne puisse jamais mettre la main dessus et lui avouer une vérité qu'elle n'était pas prête à entendre.

Airi avait trouvé refuge dans ces abysses inaccessibles, sombres et isolés de son esprit. Au moins, elle était certaine que personne ne viendrait la déranger, ici, dans son rêve éveillé éternel. Elle ne voulait plus penser à rien. À chaque fois que ses pensées divaguaient, elle revoyait le sang de cet agent de l'AVO, étalé sur ces mains et ses vêtements. Son visage la hantait. Ses yeux dénués de vie la fixaient. Sa voix rauque résonnait en elle.

L'androïde était persuadée que ce spectre malfaisant ne pouvait pas l'atteindre, là, dans les tréfonds de son être. Cependant, elle avait sous-estimé les capacités d'un autre fantôme de son passé. Astro, par un tour de force, était parvenu à percer ses défenses mentales.

Il l'avait retrouvée, la tête entre les genoux, dans un espace flou, uniquement constitué de taches colorées se mélangeant entre elles pour dessiner des formes vaguement reconnaissables. Sur la plaine — ou du moins ce que le petit robot supposait être une plaine à cause de sa couleur verte —, un vent léger soufflait, sans susciter la moindre sensation sur sa coque de plastique. De même, les rayons lumineux au-dessus de lui ne procuraient aucune chaleur. Ce monde était entièrement illusoire, factice, un agglomérat de souvenirs d'un autre temps. Et Astro en connaissait très bien leur origine. Même s'il savait que celle qu'il cherchait depuis des décennies devait se trouver là, quelque part au milieu de cette bouillie de pixel, il décida toutefois de l'ignorer. Il s'était promis de ne plus ressasser le passé et d'aller de l'avant. Ainsi, il focalisa son attention sur son présent.

— Airi, entama-t-il prudemment. Je sais ce que tu ressens. Tu n'as pas à avoir honte. C'est même bien. La culpabilité est humaine, elle aussi.

L'intéressée ne répondit rien. L'avait-elle même entendu ?

— Tu n'as pas commis un meurtre par plaisir, insista-t-il. Tu l'as fait pour protéger Bertrand. Sans toi, il serait mort à l'heure actuelle. Tu peux être fière de l'avoir sauvé !

— Tu ne comprends, Astro. Le problème n'est pas là, rétorqua l'AIntelect d'une voix éteinte.

— Pardon ?

Airi contracta la mâchoire tandis que des perles étincelantes se formèrent aux coins de ses capteurs optiques.

— Justement. Je n'ai aucun remords. Je ne regrette pas ce que j'ai fait. J'ai tué un homme, et je n'ai rien ressenti à part de la satisfaction. Je ne suis pas humaine. Je suis juste une vulgaire machine sans cœur !

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant