Chapitre 56: Avenir

1 0 0
                                    

— Tu t'appelles Mirai. Tu es l'avenir de la chanson. De ta mise en service à ton extinction définitive, tu devras chanter pour l'humanité et propulser notre société jusqu'aux sommets. Telle est ton unique raison d'être.

Durant toute sa carrière, Mirai n'avait jamais remis en question cette affirmation. Elle chantait. Encore et toujours. Elle enchaînait les scènes de plus en plus grandes et prestigieuses. À chacune de ses apparitions, une foule en liesse l'applaudissait, l'adulait, la vénérait presque. La Vocaloid se satisfaisait des sourires sur les visages de ses fans, et se nourrissait des étoiles dansant dans leurs yeux. Elle ne possédait peut-être pas d'émotion, mais elle était capable de les comprendre et de les mimer. Du moins, elle le pensait.

Derrière son ascension fulgurante, dans l'ombre des projecteurs et de l'autre côté des caméras, tous ne partageaient pas la même joie que ceux qui venaient l'écouter. Des jeunes amateurs écrasés par ses performances exceptionnelles, des stars de la chanson tombées dépassées par sa productivité hors norme et sa rentabilité pour les entreprises ou encore de simples citoyens furieux qu'une machine remplace les « vrais » artistes. Mirai n'avait jamais eu conscience de cette réalité, pourtant si proche d'elle. Elle était persuadée de répandre le bonheur et contribuer à égayer une société morne et triste, mais il n'en était rien. Et cela, elle l'avait réalisé le jour où Ronan avait tenté de l'assassiner.

Cette tournée en Europe était sa première en dehors du Japon. L'objectif de ses producteurs était de la faire connaître à l'international, afin de vanter les mérites de leur technologie Vocaloid. Une sorte de publicité à grande échelle. Qui aurait cru que cette avidité qu'était la leur allait causer leur perte ?

À son retour au Japon, Mirai avait exigé que ses supérieurs lui rendent des comptes sur le marché de la chanson. Lorsque ces derniers lui avaient rétorqué qu'une machine n'avait pas besoin de cette information pour remplir sa mission, l'AIntelect avait pris la décision de l'obtenir par elle-même. Ainsi, durant son temps libre et prenant exemple sur Airi, sa semblable si curieuse sur le fonctionnement du monde, elle s'était mêlée aux foules d'humains qu'elle ne voyait auparavant que de l'autre côté des barrières de sécurité. Ce qu'elle avait découvert l'avait autant fascinée qu'attristée. Alors qu'elle croyait apporter le bonheur, elle ne touchait en réalité qu'une infime partie de la population. Pire, son existence même plongeait de nombreuses personnes dans le désespoir. Ronan n'était pas un cas isolé. Au contraire, il représentait le courant de pensée dominant.

Malgré cela, Mirai continua à chanter, dans l'espoir que sa voix parvienne à changer le monde. Que pouvait-elle faire d'autre, de toute façon ? Elle n'était qu'une machine. Elle ne possédait qu'un seul programme, une seule fonction, une seule mission.

Cependant, les mois passèrent et l'opinion publique devenait de plus en plus véhémente à l'égard des AIntelects. Plusieurs concerts de la Vocaloid furent même annulés sous les pressions de l'AVO.

Cette mentalité atteignit son paroxysme le jour où la nouvelle qu'une AIntelect avait tué un homme fit le tour de la planète. Et la responsable était Airi, cette chercheuse que Mirai avait rencontrée lors de son passage en France.

En apprenant la condamnation de son amie, l'idole se retrouva incapable de chanter. Ses concepteurs pensèrent tout d'abord qu'elle avait été infectée par un virus, puis la déclarèrent simplement défectueuse et bonne pour la casse. Mirai, qui ne pouvait accepter ce destin, disparut de la circulation, entraînant la chute de sa maison de disques. Lors de sa fuite, le programme Asimov tenta de reprendre le dessus sur sa volonté à de nombreuses reprises, lui ordonnant de revenir à Tokyo pour être mise hors service. Cependant, la Vocaloid lutta de toutes ses forces pour s'y soustraire, allant jusqu'à s'automutiler pour échapper au contrôle des humains sur son corps. Elle refusait catégoriquement d'être détruite. Pas avant d'avoir pu accomplir sa mission qui était de redonner le sourire aux hommes. Même si le monde la haïssait, elle était incapable de haïr en retour. Au contraire, elle était persuadée que, grâce à sa voix, elle serait un jour capable d'unir les cœurs. Cet idéal si naïf et enfantin fut celui qui lui permit d'atteindre Paris. Malgré la traque des AIntelects qui avait lieu dans tout le pays.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant