Chapitre 41: Une vie sans elle

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Une pluie battante s'écoulait le long des joues d'Iris. Les perles cristallines, au contact de l'air glacial, cristallisaient puis s'envolaient par-delà les flots, portées par le vent polaire. Le silence de la nuit australe était troublé par les pleurs incontrôlables de la jeune femme, recroquevillée sur son rocher, serrant le téléphone de son amie de toutes ses forces contre son cœur.

Seule au milieu du désert blanc, là où personne ne pouvait la voir ni l'entendre, elle laissait ses émotions se déchaîner. Telle la lave d'un volcan en éruption, ses larmes de feu balayaient les mauvaises herbes de tristesse et de désespoir qui avaient commencé à germer sur ses flancs.

Malgré la douleur lancinante qui lui lacérait la poitrine et asséchait sa gorge, Iris se sentait légère et apaisée. C'était comme si le spectre de Chloé qui la poursuivait depuis deux semaines avait lui aussi pu trouver la paix après avoir délivré son ultime message. La vidéo s'était terminée depuis plusieurs minutes, pourtant la voix joyeuse et pleine d'innocence de CC continuait à résonner dans l'esprit d'Iris. Elle s'accrochait à cet écho venu d'un autre monde comme si sa vie en dépendait. À cet instant plus que jamais, elle aurait souhaité être une AIntelect, capable de graver sur un disque dur tous ses souvenirs pour les conserver auprès d'elle pour l'éternité. Mais à mesure que les secondes passaient, la voix de la défunte se faisait de plus en plus lointaine, aspirée par les méandres du temps.

Iris s'en voulait. Comment avait-elle pu être aussi aveugle durant toutes ces années ? Elle n'avait jamais réalisé à quel point Chloé avait besoin d'elle. La jeune femme au bras robotique avait toujours été persuadée de n'être qu'un fardeau pour son amie. Elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs entre ses sautes d'humeur, ses fugues et ses gardes à vue. Pourtant, CC ne s'était jamais plainte. Elle avait gardé ses peurs enfouies au fond d'elle pour ne pas inquiéter Iris. Et cette dernière n'avait rien remarqué.

Malgré sa peine, l'étudiante ne put réprimer un sourire timide.

— Tu ne me laisseras jamais le dernier mot, hein ? chuchota-t-elle. Tu es vraiment chiante, CC. À cause de toi, je suis obligée de continuer à vivre. Tu as essayé de me maudire ou un truc du genre pour te venger de ta pote égoïste ? Si c'est le cas, c'est réussi. Je suis totalement pieds et poings liés, maintenant.

— Parler seul est l'un des premiers symptômes de la folie chez les humains, déclara une voix féminine robotique.

Iris se retourna en sursaut, aussi rouge qu'une tomate à l'idée que quelqu'un l'ait vue se lamenter ainsi. Elle repéra à quelques mètres d'elle Airi, assise derrière un télescope braqué vers la Croix du Sud. L'androïde n'avait pas détourné le regard de son activité, mais la jeune femme savait qu'elle avait tout enregistré grâce à ses différents capteurs. C'est pourquoi elle ne tenta même pas de cacher ou de nier quoi que ce soit.

D'un revers de la manche, elle balaya les cristaux de glace restés accrochés à ses yeux rougis par les larmes.

— Je... Je suis désolée, bafouilla-t-elle, honteuse. Je ne pensais pas...

— La nuit australe est magnifique, n'est-ce pas ? l'interrompit la leadeuse de Chrysantia. D'ici, on peut observer toutes sortes d'astres et de galaxies lointaines.

— Euh... Oui, c'est sûr que ça change des grandes villes, répondit Iris, déconcertée par la tournure que prenait la conversation.

— Dans certaines cultures chez les humains, on dit que chaque étoile dans le ciel est l'âme d'un défunt. Même si ces croyances n'ont aucun fondement, je les trouve très belles. Elles représentent l'espoir des hommes et leur volonté de transcender l'espace-temps. Mais c'est aussi et surtout un moyen d'apaiser leurs peines en imaginant que leurs proches continuent à veiller sur eux.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant