Iris avait du mal à en croire ses yeux. De gigantesques volutes de fumée noire s'élevaient dans le ciel, plongeant les jardins du Luxembourg dans une nuit artificielle et toxique. Seules les flammes jaunes dansant sur les ruines du bâtiment législatif parvenaient à repousser l'obscurité. Au loin, les sirènes des camions de pompier et des voitures de police, ainsi que le vrombissement des pales d'un hélicoptère donnaient à cette scène surréaliste des allures d'Apocalypse.
L'étudiante secoua la tête pour remettre ses idées au clair. Les AIntelects étaient vivants. C'était tout ce qui lui importait. Ils n'étaient pas désassemblés. Ils montraient au monde le vrai visage du gouvernement et révélaient leurs mensonges au grand jour ! Depuis le temps qu'Iris attendait ce moment !
Il fallait qu'elle les rejoigne. Elle voulait absolument rencontrer Airi en personne, et s'excuser pour tout ce que son père lui avait fait endurer. Depuis dix ans, Iris portait sur ses épaules le fardeau d'être la fille de l'homme ayant causé la perte des AIntelects. Cette responsabilité l'écrasait un peu plus chaque jour. Elle avait beau tenter de passer à autre chose et se convaincre que c'était de l'histoire ancienne, sa conscience ne la laissait pas tranquille. Elle se considérait comme responsable de tous les malheurs des androïdes. Elle avait besoin d'expier les fautes de sa famille pour pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Déchirer des affiches, c'était bien. Rejoindre une potentielle résistance contre l'AVO, c'était cent fois mieux ! Et puis, il y avait une autre chose pour laquelle elle devait les remercier...
Une idée folle lui traversa l'esprit. Et si des partisans de la révolution se trouvaient à l'intérieur du palais du Sénat ? Ce n'était pas impossible que des taupes aient coordonné l'attaque depuis l'intérieur. La jeune femme devait absolument en avoir le cœur net.
— Chloé, je vais checker s'il y a des survivants, déclara-t-elle précipitamment. Va te mettre à l'abri en attendant les secours. On ne sait jamais.
— Hein ? Mais t'as pété un câble ! s'étrangla son amie, les yeux ronds. T'as vu la fumée ? Tu vas mourir asphyxiée en deux-deux là-dedans ! Laisse plutôt faire les pro...
Chloé fut saisie d'une quinte de toux qui l'obligea à s'interrompre. Du sang vint maculer son blouson de rouge. Elle constata avec horreur qu'elle saignait abondamment du front. Certainement à cause d'un choc lors de sa chute. Iris déchira un bout de son pantalon pour en faire un bandage de fortune autour de la tête de la blonde.
— Je ne serai pas longue. Je reviens aussi vite que possible. Tu me gardes mes affaires en attendant ? Merci !
Sans lui laisser le temps de répondre, la fille du héros national se sauva au pas de course. Escalada à une seule main le grillage qui séparait les jardins du palais et se retrouva immédiatement au cœur de l'incendie. Elle couvrit son nez et sa bouche avec sa veste, puis s'enfonça dans les ruines.
L'intérieur était méconnaissable. Les magnifiques couloirs ornés de bas-reliefs ne se résumaient plus qu'à un tas de gravats informe dans lesquels gisaient les bustes des célébrités qui décoraient encore quelques secondes plus tôt le large corridor. Des peintures murales, il ne restait que des débris colorés, véritable puzzle géant et centenaire que personne ne compléterait jamais.
La chaleur devint rapidement insupportable à mesure qu'Iris progressait. Elle traversa la buvette éventrée, ainsi qu'une salle de conférence avant de monter au premier étage sans croiser personne. Pourquoi ? Où se trouvaient tous les fonctionnaires, les sénateurs et les employés ? C'était l'heure du déjeuner, certes, mais il devait bien y avoir des gens en train de travailler ! Pourtant, l'édifice était aussi désert qu'un vendredi après seize heures.
Alors qu'elle s'approchait de l'hémicycle, la jeune femme entendit des bruits de pas hésitants. Instinctivement, elle accéléra dans l'espoir de tomber sur des résistants. Elle fut presque déçue lorsqu'elle constata que ce n'était qu'un parlementaire blessé par le bombardement. L'homme rondelet âgé d'une soixantaine d'années saignait abondamment du bras et boitait. Il semblait néanmoins avoir échappé au pire au vu de l'état du reste du bâtiment. Son visage n'était pas inconnu à Iris. Une barbe entièrement blanche, un menton rond, un nez aquilin et des oreilles pointues. Il s'agissait là de Marc Bowman, le président du Sénat en personne et cadre de l'AVO.
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Cogito Ergo Vivo
Science Fiction« Je pense, donc je vis. Même si je possède un cœur d'acier, je suis humaine, tout comme vous. » À l'aube du XXIIe siècle, des androïdes, les AIntelects, sont capables de remplacer les humains dans la plupart des tâches du quotidien. Leur mission es...