Chapitre 39: Briser le cycle de haine, mais à quel prix?

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Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'arrivée du dernier avion de réfugiés à Chrysantia. Malgré la découverte de la colonie par les autorités de l'AVO et les troubles engendrés par le bombardement du Sénat, tout était calme. Aucune attaque à l'horizon, pas plus que de tentatives de représailles. Selon Bruce Spark et les différents espions sur place qui n'avaient pas été démasqués, Klaus Zerich et les autres dirigeants n'avaient ni les moyens matériels ni la coordination nécessaire pour déclarer une guerre. Leur rejet collectif des AIntelects ne leur permettait pas de surmonter leurs propres différends pour des bouts de terre ou des conflits idéologiques. Toutefois, Airi était consciente que ce calme était annonciateur d'une tempête de grande envergure. L'humanité avait pourchassé et exterminé les AIntelects pendant une décennie entière, ce n'était pas pour les laisser en paix, même s'ils se trouvaient à l'écart de tout. C'est pourquoi la leadeuse de Chrysantia se tenait prête à riposter au moindre signe d'hostilité.

En parallèle, elle ne négligeait pas ses devoirs. Son but était que tous les habitants de la cité-État puissent vivre au mieux en dépit des conditions précaires qu'imposait le continent blanc. Et, même si la plupart des humains et des AIntelects acceptaient leur sort comme étant le résultat de leurs propres choix, une citoyenne en particulier monopolisait l'attention de l'ancienne chercheuse de l'ESA : Iris Leblanc.

La jeune fille avait énormément de mal à s'intégrer à la vie du pays. Elle n'interagissait que très peu avec les autres, habitait recluse dans une maison en périphérie et ne participait à aucun événement festif. Astro avait bien essayé de lui donner des missions en équipe pour la forcer à sociabiliser, comme tenir une boutique en centre-ville ou même l'inscrire à l'université de droit chrysantien, mais rien n'y faisait. C'était comme si Iris s'était forgé une chrysalide l'isolant du reste du monde, la rendant insensible à tout ce qui se déroulait autour d'elle.

Cela dérangeait Airi. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qui dysfonctionnait chez celle qui avait hérité de son bras. L'androïde avait-elle été trop brusque avec elle lors de leur rencontre ? Aurait-elle dû lui laisser accomplir sa vengeance pour la libérer de ce poids ? À l'exception du professeur Turing, elle n'avait jamais « aimé » quelqu'un au point de vouloir mourir pour lui. Et lui, même s'il ne se trouvait plus à ses côtés, était bel et bien vivant. C'est pourquoi Airi ne pouvait s'imaginer la douleur que représentait la perte d'un ou plusieurs êtres chers. Et d'ailleurs, si elle apprenait que son créateur avait été exécuté, quelle serait sa réaction ? Serait-elle dans le même état qu'Iris ? Parviendrait-elle à surmonter sa peine ? Ou sombrerait-elle dans le désespoir, tel un programme tournant à vide après avoir failli à sa mission ? Airi n'avait pas spécialement envie d'expérimenter cela pour le comprendre.

Dans tous les cas, sa priorité était d'aider la jeune femme à se sentir bien à Chrysantia. Pour cela, elle la convoqua pour lui confier une nouvelle tâche : livrer des paniers de fruits aux habitants les plus faibles et discuter avec eux pour définir leurs besoins. Pour cela, Ronan allait l'accompagner. Le lieutenant du pays effectuait déjà des actions bénévoles comme celles-ci lors des périodes d'accalmie. Airi espérait que l'ancien militant de l'AVO serait en mesure d'utiliser sa propre expérience de la vengeance pour percer la carapace d'Iris.

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Iris arpentait les rues de la ville, la tête rentrée dans les épaules, le regard éteint. Elle avait également énormément maigri depuis son arrivée. Elle ne pesait plus qu'un alarmant 36 kilos pour 1,72 mètre et ses clients le remarquaient immédiatement. Inquiets pour sa santé, beaucoup refusaient les paniers de fruits qu'elle leur proposait en lui conseillant de les garder pour elle. Cependant, Iris n'avait plus aucun appétit. Les aliments n'avaient plus de goût, et tout ce qu'elle aimait avant lui donnait désormais la nausée. Plus généralement, elle évitait comme la peste tout ce qui lui rappelait sa vie d'antan, des vêtements que sa mère achetait jusqu'aux films qu'elle regardait adolescente. À chaque fois qu'elle sortait en ville pour faire ses courses, la simple vue d'un groupe d'amis à la terrasse d'un café faisait resurgir dans son esprit la vision d'horreur de Chloé, baignant dans son propre sang sur le sol de l'avion. Lorsque cela arrivait, sa seule défense était de s'enfuir pour échapper à ce spectre du passé qui refusait de la laisser tranquille.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant