Un être artificiel pouvait-il laisser son empreinte dans la mémoire collective ? Telle était la question qui obnubilait Mirai depuis son départ de Chrysantia. À force de côtoyer Airi et Iris, la chanteuse avait fini par se demander elle aussi ce qu'il resterait d'elle après sa disparition. Allait-elle tomber dans l'oubli, être remplacée comme on remplaçait les projecteurs qui étaient braqués sur elle lors de ses passages sur scène ? Ou bien pouvait-elle prétendre également rentrer dans l'histoire comme les plus grands artistes humains ?
La Vocaloid n'avait jamais rêvé de gloire ni de célébrité. Elle ne chantait pas pour gagner de l'argent ni pour être connue mondialement et avoir sa tête sur les couvertures des magazines people. Elle chantait pour rendre les gens heureux. Dans un monde rongé par la haine, la peur et gangréné par le fanatisme, Mirai voulait que sa voix aide les plus fragiles à sortir de cette boucle infernale et illumine, l'espace de quelques minutes, leurs journées grises.
Mais était-ce son souhait ? Ou bien ne s'agissait-il que de son programme interne ? Elle l'ignorait. Toutefois, l'idole de métal était certaine d'une chose : au moment où elle s'était connectée au terminal de Chroma et lui avait injecté le virus, elle avait volontairement mis fin à ses jours en ayant conscience que son action engendrerait beaucoup de peines. Pourtant, cette pensée ne la dérangeait pas. Elle n'était pas un simple amas de lignes de code informatique. Tout comme Airi, elle était vivante, possédait sa propre volonté. Elle était libre de ses choix. Et elle comptait bien le prouver au monde.
Si je pouvais rêver, d'une autre réalité
Je me laisserais pousser, des ailes pour les déployer
D'une teinte immaculée, grâce à elles je m'élèverais.
Enfin je deviendrais, comme un oiseau : libéré.
Alors que la voix de Mirai résonnait dans le laboratoire, les tours de contrôle alimentant le super ordinateur s'éteignirent une à une. Le professeur Turing, en réalisant ce qu'il se passait, tenta d'intervenir pour arrêter manuellement la propagation du virus, mais Airi lui barra la route. L'homme, dont l'armure se vidait peu à peu de sa puissance, ne parvint pas à atteindre la Vocaloid malgré tous ses efforts.
Tout en se battant avec son créateur, la cheffe de Chrysantia communiqua mentalement avec son amie.
— Mirai ? Que fais-tu ? C'était à moi d'injecter le virus ! s'exclama Airi par message.
— Je suis désolée. Tu dois rentrer à Chrysantia quoiqu'il arrive. Ton peuple t'attend, lui répondit Mirai très calmement. Tu as le devoir de les guider.
— Toi aussi, tu dois rentrer ! Tu as promis à Ronan !
— Je lui ai promis que je resterai à ses côtés, et je n'ai pas menti. Après tout, les AIntelects en sont incapables. Toutefois, je n'ai pas besoin d'être physiquement présente pour cela. Tant que ma voix demeurera gravée dans sa mémoire, je serai avec lui. C'est ce qu'Iris et toi avez dit, n'est-ce pas ? Nous ne mourrons pas vraiment tant que nous continuerons à exister dans les souvenirs de quelqu'un. Si cette affirmation est vraie pour les humains, elle l'est également pour les AIntelects. Mon code source sera peut-être effacé, mes chansons vous accompagneront jusqu'à la fin.
Je veux déployer mes ailes, et m'envoler vers le ciel
Pour disparaître sans retour...
Je volerai dans l'allégresse, et partirai sans tristesse,
Pour planer et sentir mes ailes...
Voler dans le ciel...
Deux autres tours s'éteignirent. Alors que le téléchargement atteignait les 60 %, un court-circuit se répandit dans le corps de Mirai, qui posa un genou à terre. Ses composants furent touchés de plein fouet, de même que sa mémoire vive. Ses fichiers les plus anciens commencèrent à s'effacer un par un.
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Cogito Ergo Vivo
Science Fiction« Je pense, donc je vis. Même si je possède un cœur d'acier, je suis humaine, tout comme vous. » À l'aube du XXIIe siècle, des androïdes, les AIntelects, sont capables de remplacer les humains dans la plupart des tâches du quotidien. Leur mission es...