Chapitre 33: Une étrange attaque

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Airi rentra en vitesse dans l'enceinte de la ville. Sur la grande place, elle passa en urgence un message d'alerte générale, puis se précipita au troisième sous-sol. Astro l'y attendait. Sur son visage ridé se lisait toute son inquiétude face à la situation qui le dépassait. Vanguard avait repéré des objets volants dans l'espace aérien de Chrysantia. Cependant, l'avion qui était censé amener la prochaine vague de réfugiés n'était prévu que le lendemain. Le scientifique en avait donc déduit qu'il s'agissait d'une attaque. En réalité, il n'en avait aucune idée. Les appareils filaient bien trop vite sur les radars pour être identifiés avec précision, mais leur vitesse, presque trois fois celle du son, indiquait clairement leurs intentions.

— Où en est la situation ? demanda l'androïde, tendue. Est-ce que Vanguard est prêt ?

— Non. On n'a pas eu le temps de le réarmer depuis la dernière attaque d'il y a deux jours, grommela son partenaire tout en pianotant frénétiquement sur un clavier virtuel. Il nous reste un tir, mais il y a trois chasseurs.

Airi jura. Comment avaient-ils pu se faire prendre au dépourvu de la sorte ? Son processeur tournait à plein régime pour trouver une solution. Sa ventilation soufflait si fort que plusieurs feuilles s'envolèrent. Elle passa en revue tout leur arsenal disponible à terre. Même si la cité-État pouvait se défendre en théorie, le temps leur manquait. Selon les radars, les avions n'étaient plus qu'à quelques dizaines de kilomètres des côtes. Les bombardements étaient imminents. Ce n'était plus qu'une question de minutes.

— Lance des drones, ordonna-t-elle à son assistant. Notre seule chance est de provoquer un crash aérien.

— Tu es sûre de toi ? Avec le peu de ressources qu'on a, ça va prendre des jours pour en produire d'autres, grimaça le père des AIntelects. En plus, s'ils réussissent à les esquiver, ils ne seront jamais assez rapides pour rattraper des rafales...

— La probabilité de réussite est de trente pour cent, rétorqua Airi. C'est peu, mais non négligeable. Si nous parvenons à détruire ne serait-ce qu'un avion, Chrysantia devrait pouvoir résister aux bombardements. À condition qu'ils ne soient pas nucléaires...

— Je te fais confiance, soupira Astro. Mais c'est bizarre. Pourquoi est-ce qu'aucun de nos indics ne nous a avertis d'une attaque...

— Parce qu'aucune n'était prévue.

La voix de Bruce fit sursauter les deux AIntelects. Le militaire se tenait dans l'entrebâillement de la porte, accompagné de Kosta et Ugo qui le suivaient de près. Au vu des marques sur ses bras, il devait s'être battu pour leur échapper et rejoindre le poste de contrôle.

Airi ordonna à ses gardes du corps de le relâcher, puis elle intima au pilote de dire ce qu'il savait. Une grimace de dégout déforma le visage de Bruce. Puis il déclara :

— Notre escadron était le seul prévu. En cas d'échec, les ordres étaient de préparer un débarquement pour anéantir Chrysantia.

Astro hoqueta de surprise.

— Ils sont sérieux ? Ils se sont crus en 1945 ou quoi ?

L'AIntelect aux cheveux rouges, pressée par la situation, lui fit signe de ne pas interrompre l'Américain, qui reprit, la mine pensive.

— Je vais vous révéler un secret. L'armée de l'AVO n'est pas prête actuellement pour une guerre. Ils pensaient en avoir fini avec vous et ont donc démobilisé la population ces dernières années. C'est pour ça que, quand ils vous ont repéré en Antarctique, ils avaient lancé dans l'urgence l'opération « Fuzzy Swallow » dont je faisais partie et qui avait pour but de tester vos défenses.

— Pourquoi nous dévoiler toutes ces informations confidentielles ? demanda Airi, sceptique.

— Je n'ai pas de compte à te rendre, le robot, répliqua Bruce, crispé. On va dire que je ne veux pas mourir sans savoir pourquoi. Et clairement, l'AVO n'a pas les moyens d'enchaîner deux bombardements de suite comme ça.

— Que me conseillez-vous dans ce cas, monsieur Spark ?

L'homme s'avança de quelques pas vers l'écran central. À présent que les aéronefs non identifiés s'étaient rapprochés des côtes, il était possible d'en avoir une image directe. Un détail sauta immédiatement aux yeux de Bruce, qui lui fit froncer les sourcils. Il ne s'agissait pas d'une formation de vol habituelle. Un rafale F-45 volait devant, suivi de près par deux autres. Cependant leur trajectoire était chaotique. Ils effectuaient des virages, des plongées et des remontées brusques qui n'avaient aucun sens. C'était comme regarder une partie de chasse entre une antilope coursée par deux lions.

Cette pensée résonna comme une illumination dans la tête du militaire. Il se tourna brusquement vers les AIntelects et s'exclama :

— C'est un allié ! Enfin, un des vôtres. Il a dû piquer d'un appareil de combat pour s'enfuir et s'est fait cramer.

— Pouvons-nous vraiment faire confiance à ce type, Airi ? dit Astro, dépassé par les événements. Ça pourrait être un piège de l'AVO...

— Êtes-vous certain de ce que vous affirmez, monsieur Spark ? renchérit l'androïde, tout aussi méfiante.

— Oui. Aucune armée au monde ne volerait comme ça sans raison. C'est stupide de faire des loopings, ça épuise du carburant et c'est extrêmement risqué. Surtout à cette altitude.

Le vieux scientifique se tourna vers sa supérieure. Cette dernière croisa les bras sur sa poitrine, en plein débat intérieur avec elle-même. Elle calculait tous les scénarios possibles en y incorporant ce paramètre d'un allié inattendu, ainsi que les probabilités de succès de son sauvetage. Après trois millisecondes de réflexion, elle rendit son verdict :

— Je vous fais confiance. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le risque d'abandonner un des nôtres. Astro, verrouille le chasseur de gauche et envoie tous nos drones dessus. Je m'occupe de celui de droite. Je préfère garder le tir de Vanguard en dernier recours.

— Vous n'aviez pas des avions, vous aussi ? s'étonna Bruce.

— Si. Mais ils ne sont pas armés. De plus, nous n'avons personne pour les piloter et le pilote automatique est programmé pour préserver la sécurité de l'appareil avant tout.

— Je pourrais...

— Monsieur Spark, je vous remercie pour votre proposition, mais pas cette fois-ci, l'interrompit Airi d'un ton sec. Je n'exclus pas la possibilité que vous nous ayez menti et qu'il s'agisse bel et bien d'un ennemi. Si vous voulez bien m'excuser, je vais me charger moi-même de l'accueil de ce nouvel invité.

Sans laisser à Bruce le temps de protester, Airi confia la suite des opérations à son assistant, puis elle se dirigea au pas de course vers la piste d'atterrissage située à l'est de la ville. Depuis l'extérieur, elle put apercevoir distinctement les trois appareils. Ils n'étaient plus qu'à quelques kilomètres. L'AIntelect arma son bras et le pointa dans leur direction. Tout comme à Montmartre, son cubitus se changea en missile. Elle n'avait qu'un seul tir. Et, au vu de son vol chaotique de l'oiseau métallique, les chances de réussite étaient faibles. Du moins, pour un humain. Airi estima en un quart de seconde la trajectoire la plus probable. Puis elle replia son index et mit fit à son projectile. Ce dernier fusa en direction de sa cible à mach 5. Le recul projeta l'AIntelect contre le sol. Heureusement, ses réflexes lui permirent de se rattraper pour ne pas perdre son objectif de vue.

À la vue du missile, le premier chasseur vira brusquement de bord. Et, comme Airi l'avait prévu, le temps de réaction du pilote qui le pourchassait était bien trop élevé. Son appareil explosa en vol. Immédiatement après, dix drones surgirent de terre pour s'écraser contre le second avion qui ne put les esquiver à cause de la fumée provoquée par la déflagration.

Une fois qu'elle fut certaine d'avoir bien détruit les aéronefs ennemis, l'androïde aux cheveux rouges tenta d'établir le contact avec le seul survivant en se branchant sur la fréquence utilisée en aviation.

— Ici AI-R001, Airi. Je suis la représentante de Chrysantia. Veuillez décliner votre identité ou nous vous abattrons également. Je répète, veuillez...

Un grésillement lui répondit tout d'abord, puis une voix paniquée qu'elle aurait pu reconnaître entre mille tant elle haïssait l'homme à qui elle appartenait.

— Je... Comment ça marche, ça... Vous m'entendez ? Ah ! Enfin ! Ici Lothar Zerich. S'il vous plait, ne tirez pas, je suis dans votre camp !

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant