Julien n'avait jamais aimé les androïdes. Depuis la mort de ses parents dans un accident de voiture, sa haine envers la technologie n'avait fait que s'accroître. Il voyait de plus en plus de victimes du soi-disant progrès défiler dans son tribunal de jour en jour. Doigt arraché par un robot mixeur qui n'avait pas fait la différence avec une carotte. Enfant volontairement fauché par un train par un pilote automatique qui avait fait le choix de sauver trois hommes ivres morts sur les voies. Et tant d'autres. Tous ces drames auraient pu être évités si des humains avaient été aux commandes.
Lorsque sa famille avait perdu la vie, le concepteur avait été tenu pour responsable et s'en était tiré avec une simple amende. Selon la cour d'assises, Lily Osborne, qui se trouvait au volant, n'aurait pas dû quitter la route des yeux. Julien n'avait jamais accepté ce jugement. Depuis ce jour, il s'était juré que, contrairement au juge qui s'était saisi de l'affaire et s'était laissé influencer par ses opinions pro-IA, il consacrerait son existence à l'application du droit de manière intègre et impartiale. Il était bien déterminé à ce que les constructeurs soient considérés comme seuls et uniques responsables des actes de leurs créations. Après tout, les objets utilisant des intelligences artificielles restaient de simples machines. Du moins, c'était ce que le haut magistrat pensait.
Il ne faisait pas partie de l'AVO. Il n'adhérait pas à leurs idées qu'il trouvait trop extrêmes, mais il partageait le même mépris envers les AIntelects qu'eux. Alors, quand on l'avait chargé du procès pour le meurtre de Sodan, il s'était jeté sur l'occasion. Il allait pouvoir, devant le monde entier, prouver une fois pour toutes que ces androïdes n'étaient rien d'autre que des tas de ferraille dangereux. Jamais il ne se serait attendu à ce qu'Airi se défende de cette façon. Comme beaucoup d'autres, il avait été subjugué par son discours. Pendant un temps, il en était même venu à oublier qu'il jugeait, non pas une humaine en chair et en os, mais une simple machine.
Au moment de rendre le verdict final, un picotement lui avait parcouru l'épaule. Comme si sa haine accumulée pendant des années avait pris le dessus sur lui, il avait voté pour l'effacement d'Airi. Et ça, jamais il ne se l'était pardonné. Ce jugement lui avait également fait prendre conscience d'une chose : il était devenu la personne qu'il détestait le plus. Comme le juge qui avait refusé de condamner le constructeur automobile à cause de sa fascination pour cette technologie, Julien Osborne s'était laissé consumer par sa colère et avait condamné une innocente. Airi n'avait rien fait. Selon la justice, elle se trouvait en situation de légitime défense. Elle avait brandi une lame contre un révolver. Si le tribunal avait été impartial, elle aurait été acquittée immédiatement. Mais la pression exercée par l'AVO avait été tellement forte que les jurés n'avaient pas osé s'y opposer, et Julien les avait suivis. Tout ce qu'il pouvait faire pour expier ses fautes était d'appliquer la loi Airi autant que possible. Mais, même ça, on l'en avait empêché. Avec sa suppression après l'élection du fils de Zerich, Julien s'était retrouvé sur la liste noire du nouveau gouvernement. Il refuser de se plier aux lois injustes non seulement envers les AIntelects, mais aussi envers les humains. Pour lui, ce n'était qu'une dictature mondiale dans laquelle la justice n'était plus qu'un mot pour désigner la haine. Son refus de juger les « criminels » complices des AIntelects allait tôt ou tard lui porter préjudice, il en était certain. Il le désirait, même. Se faire condamner à mort de la même façon qu'il avait condamné Airi était le seul châtiment adéquat au crime qu'il avait commis.
C'est pourquoi, deux ans après le début de la traque des AIntelect, Julien attendait chaque soir avec espoir que la milice de l'AVO l'arrête et l'exécute. Mais deux ans passèrent ainsi sans que personne ne frappe à sa porte pour un tel motif.
Néanmoins, un beau jour près de deux ans après la chute des AIntelects, l'homme reçut un appel entrant qui attira son attention. Le numéro ne correspondait à aucun pays et il était géolocalisé en Antarctique. Avant même qu'il n'ait eu le temps de répondre, un hologramme s'afficha de force dans son cabinet. Osborne faillit tomber à la renverse en reconnaissant immédiatement la longue chevelure écarlate de son interlocutrice.
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Cogito Ergo Vivo
Science Fiction« Je pense, donc je vis. Même si je possède un cœur d'acier, je suis humaine, tout comme vous. » À l'aube du XXIIe siècle, des androïdes, les AIntelects, sont capables de remplacer les humains dans la plupart des tâches du quotidien. Leur mission es...