Chapitre 11: Cendres de jalousie

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Jonathan avait tout pour réussir. Il était sorti premier de sa promotion de polytechnique, s'était marié avec une riche héritière du pétrole, avait intégré l'ESA et grimpé les échelons jusqu'à devenir directeur informatique du centre. Il avait même travaillé en parallèle sur le développement des AIntelects « modernes » grâce à ses connaissances dans le domaine de l'IA. Tout ce qu'il entreprenait se transformait en succès. Il était un génie, le successeur d'Elon Musk. Rien ne pouvait l'arrêter dans son ascension vers les plus hauts sommets. Du moins, c'était ce qu'il croyait.

Alors qu'il s'attendait à être nominé pour le prix Turing pour sa contribution sur le supercalculateur de l'ESA, cent fois plus rapide que ses concurrents, son trophée lui avait été volé. Au cours de la cérémonie, personne ne l'appela. À la place, une femme monta sur l'estrade. C'était ce que tout le monde pensait, jusqu'à ce que la supercherie soit révélée. Il s'agissait d'une AIntelect nommée Airi, la première intelligence artificielle à remporter une distinction aussi élevée. Pourtant, elle n'avait rien accompli de spécialement grand. Elle avait simplement participé au lancement d'un nouveau Satellite, Vanguard. Mais l'assistance n'avait d'yeux que pour elle. Ils l'acclamaient, l'encensaient, la vénéraient presque. Maccafi en était persuadé. Cette machine, au visage humain vide d'émotion, ne méritait pas un tel engouement. Mais, le simple fait qu'elle ait été une androïde suffisait à la faire monter sur le trône de la célébrité. Elle, qu'il avait toujours considérée comme une vulgaire esclave au service de l'humanité, tout juste supérieure à un banal ordinateur, avait volé la place qui revenait de droit à Jonathan. Et ça, il ne pouvait pas le permettre.

De retour chez lui dans la soirée, l'homme trouva dans sa boîte aux lettres un tract de l'association pour la vie organique, une organisation dont les idées lui paraissaient jusqu'ici tirées par les cheveux, voire complotistes. Cependant, ce soir-là, il le récupéra et le lut attentivement. En moins de quelques minutes, ce bout de papier le convainquit. Le grand remplacement robotique était un fait. Ce qu'il avait vécu ce jour-là en était la preuve ! Quelqu'un, ou quelque chose œuvrait forcément dans l'ombre avec pour ultime objectif de supprimer l'humanité et créer un monde entièrement pour les robots. Sinon, comment expliquer que des machines sans âme, ni conscience, ni volonté puissent obtenir les plus hautes distinctions à la place de leurs créateurs ?

Dès le lendemain, Jonathan décida de rentrer en contact avec Lothar Zerich, le président du mouvement, qui l'accueillit à bras ouverts. Il intégra facilement un cercle de fidèles aux idées extrêmes, dont le but était de prouver par tous les moyens la dangerosité des AIntelects. Ils espéraient ainsi que la société se rendrait compte que ces machines n'étaient pas de simples outils, mais de véritables armes, contre lesquelles les hommes ne pourraient lutter en cas de révolte. Avec un exemple flagrant comme celui de Maccafi, l'organisation était persuadée d'avoir recruté l'étendard parfait pour appuyer ses dires.

Cette nouvelle activité empiéta sur le travail principal de l'ingénieur, qui vint de moins en moins souvent à l'ESA, préférant reléguer les tâches à ses subalternes. Il ne s'occupait plus que du supercalculateur, dont il était le seul à connaître les secrets.

Cependant, son épouse voyait d'un mauvais œil cette radicalisation. Les disputes se faisaient de plus en plus fréquentes. Jonathan voulait à tout prix lui « ouvrir les yeux », mais il eut beau faire, sa femme resta de marbre. Puis, un jour, l'homme trouva une feuille sur la table du salon à son retour de réunion : une demande de divorce, accompagnée d'une lettre.

« Je suis désolée, mais tu n'es plus celui que j'ai aimé. Tu es devenu obsessionnel et, puisque je n'arrive plus à t'atteindre, je préfère partir. J'ignore ce qui t'a changé. Si ce sont les membres de l'AVO, sache qu'ils te manipulent. Tu n'as rien à prouver à personne, surtout pas à moi. Le monde te doit déjà beaucoup. Alors, s'il te plaît, arrête avant de faire quelque chose que tu regretteras. »

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant