— Je te laisserai ma fille le jour où tu obtiendras un prix Nobel, gamin. Aimé mérite mieux qu'un geek qui traîne toute la journée dans la réalité virtuelle.
Malgré les rires gras et la musique médiévale jouée au fond de la taverne, la voix de John Titor résonnait encore dans l'esprit de Bertrand. Sa première rencontre avec le père de sa petite-amie ne s'était pas passée du tout comme il l'avait prévu. Pourtant, Aimé l'avait prévenu que c'était une mauvaise idée de vouloir se présenter à lui, mais le futur directeur de l'ESA ne l'avait pas écoutée. Résultat : il s'était fait sortir avec un coup de pied au derrière et une interdiction d'approcher la jeune femme pendant les trente années à venir, ce qui était, selon John, le temps minimal nécessaire pour décrocher la plus haute récompense scientifique.
Bertrand ne savait plus quoi faire. Il avait emménagé à Paris et intégré l'école normale supérieure de Saclay dans le but de se rapprocher de sa partenaire de jeu. Tout partait si bien. Lors de leur première rencontre IRL, il était angoissé qu'Aimé soit très différente dans la vraie vie, ou pire, qu'elle soit déçue de lui, mais tout s'était passé à merveille. Cela avait conduit l'étudiant de dix-neuf ans à vouloir rencontrer la famille de la première joueuse mondiale, au moins par politesse. Puisqu'ils se parlaient tous les jours depuis trois ans et sortaient officiellement ensemble selon leur statut « en couple » qu'il affichait au cours de leurs missions, il trouvait normal d'aller se présenter. Et il avait reçu une douche froide. Glacée, même, tout comme l'accueil que John Titor lui avait réservé.
Le bruit d'un téléporteur interrompit la musique d'ambiance. Les rires et les discussions se turent également alors qu'une personne marchait d'un pas décidé et que tintement de son lourd équipement résonnait dans toute l'auberge. Bertrand n'osa cependant pas se retourner, sachant déjà de qui il s'agissait.
— Eh, Betur, tu fous quoi ? Ça fait vingt minutes qu'on attend pour commencer la quête ! s'exclama une voix féminine bien connue.
— Je... Ma connexion est mauvaise aujourd'hui. Je ne veux pas vous retarder. Allez-y sans moi, répondit-il timidement.
— Dis plutôt que t'as pas digéré ce que mon père a dit, ça ira plus vite. Et sinon, les autres là, je vous dérange ? Mêlez-vous de ce qui vous regarder !
Le simple regard qu'Airi lança aux joueurs présents fit repartir le brouhaha. Personne n'avait envie de se confronter à la numéro un mondiale. La jeune femme reporta ensuite son attention sur son partenaire et croisa les bras sur sa poitrine en tapant du pied sur le sol.
— Je n'ai pas le droit de t'approcher. Si ton père apprend qu'on se voit in game, tu vas avoir des ennuis...
— J'ai plus six ans, je te signale. J'ai le droit de voir qui je veux, non mais ! En plus, il ne sait même pas comment brancher un casque VR. C'est un boomer qui a une génération de retard.
Cette pique arracha un sourire à Bertrand. Il appréciait tout particulièrement le franc-parler d'Aimé. Elle était d'une nature très extravertie. Elle montrait toujours ses émotions de manière explosive. Elle sautait de joie à la réussite d'une quête, pleurait à chaudes larmes à chaque échec et n'hésitait pas à exprimer son mécontentement lorsque des choses lui déplaisaient, comme à ce moment-là.
— Je suis désolé d'avoir insisté. J'aurais dû te croire quand tu m'as dit ça. Je peux m'en prendre qu'à moi-même, j'imagine.
La femme au bras robotique haussa les épaules.
— Bah, en même temps, c'est vrai qu'un papa poule avec une meuf de dix-neuf piges, c'est pas crédible. À ton avis, pourquoi je préfère faire des soirées jeux vidéo ? Si je sortais en boîte avec mes copines, il viendrait me mettre la honte si je ne rentrais pas à l'heure. Au moins, ici, je suis tranquille et il pense que je regarde des documentaires d'astrophysique.

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Cogito Ergo Vivo
Science-Fiction« Je pense, donc je vis. Même si je possède un cœur d'acier, je suis humaine, tout comme vous. » À l'aube du XXIIe siècle, des androïdes, les AIntelects, sont capables de remplacer les humains dans la plupart des tâches du quotidien. Leur mission es...