Chapitre 22: Un monde sans AIntelect

8 2 2
                                    

— En ce jour du 25 février 2115, nous célébrons le dixième anniversaire de la victoire de l'humanité sur la machine. À ce jour, nous ne comptons plus un seul AIntelect sur le territoire européen. Le président Zerich va désormais...

Iris Leblanc profita des embouteillages du centre-ville pour changer de radio. La dernière chose dont elle avait envie, c'était d'entendre une nouvelle fois ce politique véreux raconter des âneries plus grosses que lui. Ce qui était un exploit au vu de sa silhouette plus proche du ballon de basket que de l'épingle à nourrice. La jeune femme sourit lorsqu'à ses oreilles parvint la voix mélodieuse de la chanteuse Mirai. Dans un désir de provocation puéril, elle monta le son au maximum et ouvrit les fenêtres. Les visages paniqués des passants constituaient la plus belle récompense qu'elle pouvait espérer. Après tout, tout ce qui touchait aux intelligences artificielles de l'ère AIntelect était prohibé par un décret avec autant de valeur qu'un chewing-gum collé sur le sol. Iris, fière de cette comparaison silencieuse, la nota dans un coin de sa tête.

Les gens devaient la prendre pour une folle ou une dissidente pour défier ainsi cette loi autoritaire, et peut-être l'était-elle. Personne n'avait jamais examiné sa santé mentale. Pourtant, les autorités avaient toutes les raisons de le faire. Son père, Bernard Sodan, était clairement dérangé de son vivant. Il ne parlait que de la fin du monde, répétant inlassablement que les machines allaient provoquer l'apocalypse, tout ça parce qu'un gourou aussi perché que lui l'en avait convaincu. Résultat ? Des milliers d'euros partis en fumées pour financer l'AVO et une mort stupide. Ou en martyr comme le disaient sa mère et tous les fidèles du gouvernement. Par un tour de force incompréhensible, Bernard était passé de fou échappé d'un asile à héros de la société, mort pour l'humanité. La bonne blague. Si Iris avait été assez mature pour oser s'opposer à lui, à l'époque, peut-être aurait-elle pu sauver plusieurs millions d'innocents.

L'étudiante, toujours à l'arrêt, se mit à taper frénétiquement sur son volant comme à chaque fois que sa nervosité prenait le dessus. Elle n'aimait pas repenser au passé, et pourtant, cet enfoiré revenait sans cesse la hanter dès que son esprit partait divaguer un peu trop loin. Lors du procès de l'AIntelect Airi, Iris n'avait que douze ans. Elle n'avait aucune idée des enjeux de ce jugement. Tout ce qu'elle voyait, c'était qu'une machine avait tué son père et que le reste de sa famille était déchirée par ce deuil. Mais pourquoi, en fait ? Lorsqu'elle y réfléchissait, sa mère n'avait aucune raison de le regretter. Bernard était un mari absent, obsédé par les idéaux de l'AVO et la religion. C'était peut-être pour ces raisons que, malgré son entourage, Iris n'avait jamais réussi à ressentir la quelconque tristesse, pas même en passant devant le cercueil le jour de l'enterrement. Elle suivait simplement le mouvement et feignait de pleurer la disparition de sa figure paternelle. Mais, en réalité, elle s'en fichait royalement. Mort ou vivant, sa présence à la maison était la même.

Alors qu'elle était prise au piège par ses divagations, Iris reçut une notification sur son téléphone : accident en centre-ville. « Un chauffard ivre et sous stupéfiant a provoqué un carambolage. Trois victimes sont à déplorer, dont un enfant et sa mère. Les circonstances du drame restent encore à déterminer, mais une défaillance de son GPS pourrait en être à l'origine. »

La jeune femme jura à voix haute, s'attirant à nouveau les regards des autres usagers.

— Voilà ce qu'il se passe quand on interdit les IA ! Quelle bande de glands !

Ce genre d'événement était devenu de plus en plus fréquent depuis le bannissement de la plupart des appareils utilisant des intelligences artificielles. Les humains, qui avaient perdu l'habitude d'effectuer de nombreuses tâches eux-mêmes, avaient eu énormément de mal à retourner à un ancien mode de vie non automatisé. La reprise de la conduite manuelle avait provoqué des milliers de morts à cause d'abrutis qui avaient oublié les règles fondamentales du Code de la route. Ou qui ne les avait jamais apprises. Ce n'était même pas de leur faute. Pourquoi savoir reconnaître une priorité à droite quand le système de navigation, bien plus performant, peut s'arrêter en moins de 0,001 milliseconde ?

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant