Chapitre 32: Comprendre son ennemi

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— Les AIntelects sont l'incarnation du diable ! Il est dit dans le livre de Daniel que les connaissances se multiplieront avant le retour du Saveur. L'intelligence artificielle représente cet accroissement incontrôlé qui signera la fin des temps. Nous ne devons pas perdre espoir. Les justes triompheront lorsque viendra l'avènement du Seigneur ! Ensemble, nous détruirons la Bête !

Des centaines d'hommes répétèrent les dernières paroles du général en boucle. Parmi eux se trouvait Bruce, reprenant comme un automate la propagande de l'AVO. Jamais il ne l'avait remise en question. La haine des machines, la peur du progrès et la sacralisation de l'humanité étaient les valeurs qu'on lui inculquait depuis son enfance. Il avait grandi dans ce milieu traditionnel dominé par la religion. Ses parents lui interdisaient de côtoyer des enfants qui traitaient les androïdes comme des êtres vivants. Les AIntelects n'étaient que des tas de ferraille sans âmes, au même titre que des ordinateurs et des téléphones. Ceux qui les considéraient comme humains étaient des fous qu'il fallait interner.

Bruce n'avait jamais remis en question cette « vérité ». Il était persuadé de combattre pour sauver ses proches de l'Apocalypse biblique. C'est pourquoi il était prêt à se sacrifier sans hésitation pour détruire Chrysantia, le royaume du Mal hébergeant l'Antéchrist aux cheveux écarlates.

Cependant, sa conversation avec la reine des AIntelect l'avait troublé. Depuis la veille, ne pouvait pas s'empêcher d'y repenser. Qu'allait-il laisser au futur ? En suivant son plan, rien du tout. L'armée n'avait que faire de la chair à canon. Son supérieur devait très certainement le penser mort et avait déjà dû organiser ses funérailles. Puisqu'il avait échoué, il ne serait jamais un héros ni un martyr. Juste un soldat parmi tant d'autres disparu dans des circonstances tragiques. Il n'était personne. Et cette réalité le révulsait.

Assis à l'une des tables d'un café de la place principale aux côtés de ses deux acolytes, Bruce observait cette étrange société parallèle sous l'œil attentif de leurs geôliers. Il était étonné de constater l'insouciance des gens. Les enfants se baladaient sans surveillance. Les clients des magasins ne regardaient pas les tickets de caisse pour vérifier le montant de leurs achats. Les commerçants donnaient des produits aux plus pauvres. Aucun policier ne patrouillait dans les rues. C'était comme si personne ne commettait jamais de délit ici. Cependant, le militaire avait du mal à y croire. Une harmonie aussi parfaite ne pouvait pas exister dans la durée. Il suffisait d'une seule personne mal intentionnée pour faire basculer la ville-état dans le chaos. Un vol, un assassinat, un viol ou même une altercation entre deux individus, il y avait tant de façon de déstabiliser cet équilibre si précaire. Et pourtant, rien. Tout était calme. Pour les habitants de Chrysantia, aucune menace de guerre ne planait. Ils vivaient leurs vies tranquillement aux côtés des AIntelects.

Voyant qu'Ugo et Kosta, en charge de la surveillance des prisonniers, s'étaient endormis, Bruce se rapprocha de ses camarades.

— Les gars, c'est l'occas. On se tire. Airi m'a dit qu'il y avait des avions quelque part. Si on réussit à les chopper, on peut peut-être rentrer chez nous, murmura-t-il pour ne pas réveiller les deux hommes.

Alors que le pilote pensait qu'ils allaient sauter sur l'occasion, les deux autres militaires ne réagirent pas.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Vous avez peur qu'on vous choppe ? insista-t-il.

— Écoute, Bruce, entama la cheffe de l'escadron, Evelyn Hamilton après un moment d'hésitation. Je... Enfin, Joe et moi, on a décidé de rester.

Bruce s'étrangla avec sa propre salive. Il ne pouvait pas en croire ses oreilles.

— Q... Quoi ? Vous êtes sérieux ? Qu'est-ce que vous avez fumé hier ? s'exclama-t-il, interdit.

— On a bien réfléchi, lui répondit son subordonné, Joe Gates, un grand gaillard à la carrure de joueur de hockey. Je pense qu'on s'est fait manipuler. On nous disait que les AIntelects étaient des monstres sans cœur prêts à nous exterminer... Mais ce n'est pas l'impression que j'ai eue pendant la fête. Tous ces gens, ils étaient comme nous, finalement.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant