Chapitre 6: La chanteuse du métro

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Une douce mélodie flottait dans le salon baigné des rayons cramoisis du Soleil couchant. Dehors, une brise légère faisait bruisser les feuilles des arbres, projetant leurs ombres mouvantes sur un grand piano à queue, comme des spectres dansant au rythme de la musique envoutante. Sur le clavier, deux mains délicates caressaient les blanches et les noirs dans une valse hypnotisante, frénétique et apaisante à la fois.

Ronan, assis dans le canapé, écoutait avec attention la chanson de sa compagne, les yeux fermés pour en capter toutes les subtilités et toutes les nuances.

Soudain, une fausse note brisa cette harmonie si parfaite, suivi d'un accord dissonant, comme si une masse s'était écrasée sur l'instrument. Le jeune homme rouvrit les yeux en sursaut. La pianiste aux cheveux d'or s'était soudainement arrêtée. D'un geste furieux, elle déchira sa partition, malgré les supplications de Ronan. Puis elle tomba à genoux, le visage couvert de larmes.

— Ça ne sert à rien, se lamenta-t-elle. À quoi bon s'entraîner des années quand un programme peut faire pareil en cinq minutes ?

— Ce n'est que partie remise, Élise, dit Ronan d'une voix réconfortante. Ta chanson est magnifique. Je suis sûr que l'année prochaine, le public sera conquis par...

— Tu ne comprends pas ! rétorqua violemment Élise en repoussant son compagnon. Je... Je n'arrive plus à chanter. Depuis que j'ai perdu, je revois cet androïde sans vie sur le podium à chaque fois que j'essaie.

— C'est pour ça que tu dois persévérer ! Tu es humaine, tu peux progresser. Elle, non. Ses lignes de code sont fixes. Elle n'est pas vivante. Tu peux la battre !

— Pourquoi ? Pour qu'une autre IA plus performante me ridiculise à son tour ? Ouvre les yeux, Ronan, les humains sont dépassés ! Ma maison de disque me l'a dit. À l'avenir, ils vont engager de plus en plus d'AIntelects, parce qu'ils sont plus rentables que nous !

— Tu... Tu n'es pas sérieuse, quand même ?

— Réfléchis. Pour faire du profit, tu choisirais quoi, toi ? Une gamine que tu dois former quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ? Ou bien un robot qui peut écrire une chanson en moins de vingt minutes et en faire un disque de platine ?

— Le public préférera toujours une vraie chanteuse à une IA. Moi, en tout cas, je te supporterai...

— Pour qui est-ce que tu parles ? Monsieur pense qu'il détient la vérité ? Sache que les stats vont dans l'autre sens ! Selon le producteur, les chansons composées par des IA ont dix fois plus de succès ! Alors, tes considérations, tu peux les garder pour toi !

— Élise...

Tremblant, Ronan lâcha le bras de la jeune femme, qui se prit la tête dans les mains.

— Dé... Désolée de m'être emportée. Je ne devrais pas. Mais, on ne peut plus continuer comme ça. À ce rythme, on va se retrouver sur la paille. Si je ne sors pas cette chanson d'ici la fin de la semaine, on me renverra de l'agence.

— Ne te force pas. Tu as oublié ? La musique est la voix de l'âme.

— Oui. C'est ce que ma mère me répétait, quand j'étais petite. On ne se souvient peut-être pas des visages ni des personnalités des musiciens, mais leurs partitions sont éternelles. Elles sont la preuve qu'ils ont un jour existé, et existent toujours dans ceux qui les jouent et les écoutent.

Élise ramassa les feuilles déchirées et les replaça sur le pupitre. Puis elle s'empara d'un stylo pour continuer sa portée. Cette vision arracha un sourire à Ronan.

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant