Chapitre 7: Lettre d'une fille paumée

48 5 75
                                    


Ronan s'ennuyait. Le matin il se levait sans motivation pour aller en cours, écouter des professeurs aigris, manger dans son coin et travailler jusqu'à minuit avant de s'endormir pour recommencer le même cycle. Il trouvait la vie insipide, sans saveur. Il venait de rentrer au lycée, mais était déjà lassé de cette existence qu'il ne continuait que pour faire plaisir à ses parents.

Mais, un soir, alors qu'il sillonnait les couloirs du métro après une autre journée ennuyeuse, il entendit une voix mélodieuse qui se propageait dans ces souterrains bondés. Comme une abeille envoûtée par l'odeur du pollen, il remonta la piste de la musique, quitte à s'écarter de son trajet quotidien. C'est là qu'il la rencontra. Elle se tenait debout, juste sous le panneau indiquant la direction d'Aubervilliers, une guitare cabossée à la main, mais le sourire aux lèvres. Même si personne ne s'arrêtait pour l'écouter, son visage rayonnait de joie, et l'innocence pétillait dans ses yeux d'émeraude. Ses longs cheveux d'or tombaient avec élégance sur son épaule droite, par-dessus la bretelle de sa robe rouge. À ses pieds, pas de coupelle. Simplement une feuille pliée en deux sur laquelle étaient marqués ces mots banals : « merci pour votre attention, et bonne journée à vous ».

Comme hypnotisé par les doigts de la musicienne pinçant avec délicatesse les cordes de son instrument, Ronan resta plusieurs minutes, immobile au milieu du couloir. Lorsque la mélodie s'arrêta, il revint subitement à lui, et croisa le regard espiègle de la jeune fille. En panique, il fouilla précipitamment dans ses poches avant de se rendre compte qu'il n'avait sur lui que sa carte de métro. Confus, il bafouilla :

— Je... C'était vraiment magnifique. Dé... Désolé, je n'ai rien sur moi.

L'inconnue éclata d'un rire cristallin qui emplit le souterrain.

— T'inquiète. J'ai pas besoin d'argent. Je fais ça pour le fun !

Ronan se sentit honteux d'avoir proposé cela. À tous les coups, la chanteuse l'avait mal pris. Cependant, cette dernière reprit sa guitare et sortit de son sac une partition.

— Est-ce que tu aurais le temps d'écouter une autre chanson ? enchaîna-t-elle avec excitation.

— Ça... Ça serait avec plaisir !

— Yes ! J'ai pas l'habitude qu'on s'arrête pour moi. On essaie plutôt de prévenir la police quand on me voit. Mais, pas de chance, j'ai des autorisations, donc je suis indélogeable ! Au fait, je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Élise Lopez.

— Ro... Ronan Sawyer, bégaya le garçon, de plus en plus rouge.

— Enchantée ! Bon, qu'est-ce que je pourrais te jouer, maintenant ? Ah, je sais ! Tu aimes la rétro J-pop ?

— Je n'en ai jamais écouté, je crois...

— Oh, super, donc je vais te faire découvrir mon idole ! C'est ma chanson préférée. C'est légèrement ringard, comme ça date des années dix, mais j'ai tenté de la moderniser et je l'ai traduite, aussi. Ça s'appelle Senbonzakura. Tu vas voir, c'est trop cool, mais un peu spécial, je te préviens !

Élise recommença à jouer. Sans même s'en rendre compte, Ronan enchaîna les airs du répertoire de sa nouvelle amie jusqu'à épuisement. Le temps semblait s'être figé, suspendu à la voix charmeuse et sensuelle de cette adolescente devant qui des milliers de gens passaient sans s'arrêter, sans même prêter une oreille à son art.

En entendant sonner au loin neuf heures du soir, Élise rangea finalement son instrument, puis remercia longuement son seul spectateur de la journée.

— Bon, c'est pas tout ça, mais je vais rentrer. Sinon, on va encore m'engueuler, lança-t-elle joyeusement. Je ne sais pas si on se reverra, mais c'était vraiment cool. J'avais pas eu l'occas de tout déballer comme ça depuis un bail !

Cogito Ergo VivoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant