Chapitre 19: Le jugement final

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Un humain était-il forcément un mammifère capable de penser, constitué de chair et de sang ? Telle était la question qui avait toujours guidé la vie de John Titor depuis son premier voyage au Japon, en 2025, alors qu'il n'avait que quinze ans. Il avait été séparé de ses parents et un automate de service lui avait indiqué le chemin pour retourner à son hôtel en le raccompagnant jusqu'à sa destination. Évidemment, John était conscient que ce robot ne faisait qu'exécuter le programme qu'on lui avait implémenté. Néanmoins, le futur ingénieur ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la reconnaissance envers son sauveur.

Fasciné par ce qu'il considérait comme une forme de vie alternative qui ne demandait qu'à émerger, John avait voué le reste de sa carrière à la robotique et l'intelligence artificielle. Et ses efforts furent finalement récompensés. En 2036 il parvint à développer le premier AIntelect de l'histoire : I.O.R.I. Cependant, ce que le monde ignorait, c'était la raison qui l'avait poussé à créer cet androïde. Il prétendait devant les caméras qu'il cherchait à améliorer la société, racontant à qui voulait l'entendre l'anecdote sur l'automate qui l'avait guidé à Tokyo. Toutefois, la réalité était bien différente.

À l'université, il avait fait la connaissance de Suzanne Maine, avec qui il s'était marié et avait eu une fille. Peu après avoir donné naissance à Aimé, la jeune femme fut frappée par la maladie de Charcot. Dans un espoir vain pour sauver l'amour de sa vie, John avait consacré plusieurs années au développement d'un corps bionique qui aurait pu accueillir l'esprit de sa femme. Malheureusement, le temps joua contre lui et Suzanne décéda avant que John n'ait trouvé un moyen de transférer sa conscience et ses souvenirs sur un disque dur. Malgré cet échec, le père des AIntelect décida d'implanter une intelligence artificielle dans son androïde nouvellement créé, afin d'en faire une mère de substitution à sa fille.

Même si I.O.R.I restait très basique dans les dialogues et les actions qu'elle pouvait accomplir, son succès fut retentissant auprès du grand public. Mais les entreprises ne voyaient en elle qu'une esclave capable d'effectuer des tâches pour un coup bien moindre que des employés humains. Seule Aimé considérait cet androïde comme une humaine douée de sentiments et d'émotions qui lui étaient propres. En était-elle réellement dotée ? John n'avait jamais obtenu de réponse. Mais il aimait penser que, quelque part, certains aspects de la personnalité de sa défunte femme avaient été transmis à sa version robotique.

Toute sa vie, John Titor avait continué à militer en faveur de la nature sentiente de ses créations. Il enchaînait les émissions télévisées dans lesquelles il avertissait les constructeurs peu scrupuleux que les AIntelects ne devaient pas être traités comme des outils. Lorsqu'on l'interrogeait sur l'origine de cette crainte, il se contentait d'esquiver la question, invoquant les récits de science-fiction et les films catastrophes.

La vérité se trouvait dans le code source même de ces robots. Tous possédaient au fond le programme originel censé accueillir l'esprit de Suzanne. Il était peut-être vierge pour la plupart, mais John savait qu'un jour ou l'autre, la technologie serait suffisamment avancée pour qu'un AIntelect comble lui-même ce vide et prenne conscience de son existence.

Puis, un beau jour de 2050, John Titor disparut des radars sans laisser de trace. Malgré les recherches de la police, personne ne retrouva son corps. Beaucoup conclurent à un suicide après la perte de sa fille, mais une grande partie de la population penchait pour la théorie de l'assassinat.

C'est pourquoi, lorsque l'inventeur légendaire réapparut au beau milieu du procès de sa création, tous restèrent sans voix.

Content de son entrée en scène, l'hologramme de John haussa les épaules d'un air amusé.

— Eh bien quoi ? On dirait que vous avez tous vu un fantôme ? Vous savez, ce n'est pas parce que quelqu'un disparaît qu'il est forcément mort. Enfin, dans mon cas, c'est un peu plus compliqué que ça, mais j'ai pas fait mon grand retour pour vous parler de ça. Je vous accorderai peut-être une interview à ce sujet, un jour.

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