5. Braises

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Mes pieds ancrés au sol, je fais de petits mouvements pour faire bouger la balançoire. Les yeux rivés sur mon script, je lis et relis les lignes de mon texte puis ferme les yeux en essayant de les mémoriser et de trouver le bon ton.
Cela fait 20 minutes que je bute sur un passage.

"Tu joues avec le feu, comme si ta vie ne valait pas un dollar, qu'importe ce que tu laisses derrière tes pas. Tu avances, tu crames  tout sur ta route, tu brûles tout à la ronde ! Comme un putain de lance-flammes ! Des forêts entières ! Et je me tiens là, au milieu de ce paysage désolé, incapable de respirer dans cette atmosphère suffocante. Tu n'as même pas laissé une branche intacte, une putain de branche à laquelle je pourrais me raccrocher. Tout n'est que cendres. Que cendres Tom !'

Mon personnage, Léo, est censé dire ça à celui de Louis avant de le quitter. C'est la toute dernière scène entre les deux protagonistes. Mais c'est la toute première scène qu'on va tourner ensemble avec Louis.

Demain.

Je suis complètement angoissé à l'idée de lui donner la réplique.

Jusqu'à présent, on n'a tourné qu'une scène tous les deux et c'était une scène de groupe, dans laquelle je n'avais que quelques phrases à dire. Le reste du temps, j'ai joué des séquences qui se passent avant que Tom n'arrive dans l'histoire et d'autres qui se passent après sa mort.

Cette fois, c'est différent. Il n'y aura que Louis et moi sur le plateau.

- Ce passage est le point culminant de l'histoire, l'intensité est à son paroxysme. Je veux que ça laisse le spectateur scotché à son putain de siège, okay Harry ?

Il y a quelques jours, Chris m'a pris à part pour briefer un peu la scène. Il sait que je n'ai jamais joué un passage avec une telle tension dramatique. Ces mots, c'était sa façon de m'encourager. Mais il a réussi à me stresser encore plus qu'avant.

- Tu voudrais que je le joue comment ? je lui ai demandé, peu sûr de moi.

- À toi de voir mon grand, viens le jour J avec des propositions.

Chris est réputé pour cela : il laisse souvent la totale liberté à ses comédiens pour jouer comme ils le sentent.

- C'est pour ça que j'ai signé les yeux fermés ! disait Sebastian pas plus tard que ce matin.

Je sais que Miles et Tim aiment aussi cet espace de liberté. Peu de metteurs en scène le permettent. À l'inverse, Eddie a l'habitude des tournages beaucoup plus cadrés et ne se sent pas très à l'aise sur celui-ci. Il me l'a expliqué la semaine dernière après qu'il a rencontré un blocage sur le tournage.

Il venait de s'y reprendre 17 fois pour une scène. J'étais désœuvré et j'avais décidé de traîner aux alentours du plateau. J'aime regarder cette petite ruche qui s'anime, voir le travail des cameramen, des preneurs de son et de tous les opérateurs qui travaillent dans l'ombre et dont on ne soupçonne pas l'existence lorsqu'on regarde un film.

Quand je suis arrivé, il en était à la 11e prise. Ses joues étaient rouges, il commençait à perdre son sang froid. Sa mâchoire était serrée, un autre signe de son énervement. Lorsqu'a retenti un nouveau "eeeeet coupeeez", il a lâché un "putaaaiiiinnn" qui a fait sursauter Elise, la responsable du catering, qui était en train de me proposer un thé. Il a pressé le pas et s'est presque enfui du plateau, bousculant au passage un technicien. Il ne s'est ni retourné, ni excusé. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Eddie est d'ordinaire la gentillesse et le calme incarnés.

De mon siège, je l'ai vu marcher tout droit jusqu'à un mur qui se dressait un peu plus loin. On l'a entendu pousser un grognement de rage avant qu'il ne reste debout, le front contre les briques, les martelant avec les côtés de ses poings.

L'acteur que j'aimais || LARRY Où les histoires vivent. Découvrez maintenant