Chapitre 66

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Je porte mon regard sur le sol jonché de trèfles et de pissenlits. Je fais le vide dans ma tête. Quant à Livaï, il reste en face de moi debout à quelques mètres. Le silence perdure déjà depuis quelques secondes. Pendant que je fixe le sol, je sens son regard insistant sur moi. Il me détaille entièrement de haut en bas. Cette situation est gênante, je n'avais pas imaginé cette scène dans ma tête. Sans Isas, je ne serais probablement jamais retournée les voir, ou du moins pas de si tôt. Je n'ai rien pu calculer. Alors je me tiens là, sans décrocher ne serait-ce qu'un mot. Il m'est impossible de parler, comme si aucun mot ne pouvait décrire ma culpabilité ou encore ma honte.

- tu comptes m'ignorer encore longtemps ? Demande froidement Livaï qui a perdu patience.

Je réfléchis à ma réponse. Je n'ai plus pour habitude d'avoir des conversations, de plus avec quelqu'un d'aussi... Particulier. Alors que je m'apprêtais à lui répondre, il prend à nouveau la parole.

- sérieusement, tu préfères encore fuir tes responsabilités ? En fin de compte, tu n'as pas changé. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir.

Il est en train de monter en pression, je le ressens. Je le sais dès lorsqu'il commence à trépigner de colère et à hausser le ton de sa voix. J'ai beau en avoir conscience, je n'arrive toujours pas à le regarder en face.
Il perd définitivement patience en lâchant un : " comme tu voudras " avant d'emboîter le pas pour partir. J'allais le laisser simplement faire, toutefois le cœur ou la raison m'a fait prendre la parole sans que je ne m'y attende moi-même.

- je n'arrive tout simplement pas à assumer.

Finalement, il se stoppe sans prendre la peine de se tourner vers moi. Je suis en train de réfléchir à comment je vais devoir m'exprimer, mais il prend la parole avant moi.

- ce n'est pas si compliqué de m'avouer qu'avec le temps tu ne comptais pas tenir ta promesse.

Ce n'est pas aussi évident qu'il le pense…Pourquoi est-il si simple de penser, mais de ne pas réussir à s'exprimer avec des mots ? Tout à coup, il se dirige vers moi d'un pas assuré. 

- arrête ta stupide pitié qui m'écœure et parle. Affirme-t-il en me poussant par l'épaule.

Malgré le fait qu'il me pousse, je n'arrive pas à le regarder dans les yeux. Néanmoins, j'ai le courage de lui répondre.

- ce n'est vraiment pas…

- c'est à ce point compliqué de me dire que tu n'éprouves plus rien ? Demande-t-il en me coupant la parole.

Il me lâche cette phrase comme un boulet de canon, mais au moins, cela m'aide à trouver la force pour le regarder dans les yeux et lui répondre.

- qu'est-ce que tu racontes ?

Il retire sa main de mon épaule pour se tenir droit et prendre ses distances.

- tu dis que tu n'assumes pas, alors vas-y, je t'écoute. Dis-moi ce que tu veux me dire. Je suis prêt à l'entendre. Affirme-t-il les bas croisés

- j'ai eu un moment de faiblesse et…

- t'es vraiment en train de me faire le coup que t'as glissé sans faire exprès sur un autre ? Je te pensais plus honnête. Je rectifie ce que j'ai dit plus tôt, tu as changé, c'est clair et net. Dans le cas contraire, je n'aurais jamais pu… Enfin qu'importe, t'es vraiment pitoyable. Déclare-t-il en me coupant à nouveau la parole.

- MAIS QU'EST-CE QUE TU T'IMAGINES ? M'écrirai-je debout.

Il fronce les sourcils de colère face au ton que j'ai employé mais, qu'importe.

- je n'arrive pas à prendre la parole parce que je me trouve pathétique, mais pas pour ce genre de raison. La vérité, c'est que je m'en veux d'avoir baissé les bras alors que je t'avais dit que l'on se retrouverait. Devant toi et les autres, j'ai demandé la mort alors que j'avais fait une promesse. Le mot pathétique est un faible mot par rapport à ce que je ressens. Alors non, je n'ai pas glissé sur un autre imbécile. Et arrête de prétendre à ma place des accusations aussi terribles ! Je sais que tu as la fâcheuse habitude de parler à la place des autres, mais bordel, n'invente pas des trucs aussi grotesques ! Si tu me laissais vraiment l'occasion de m'exprimer sans me couper la parole, je t'aurais dit ce à quoi je pensais. Avec un peu de temps et de patience je l'aurais fait, mais j'oubliais que tu n'en avais pas  de patience ! Affirmai-je irritée de la situation.

Finalement, je m'assois à nouveau sur le banc en reprenant ma respiration pour pouvoir poursuivre, mais il prend la parole avant moi.

- au moins, tu as retrouvé ta répartie.

- écoute, j'ai conscience que j'ai ma part de responsabilité. Je n'arrivais pas à m'exprimer, ce qui te laissait la possibilité de t'imaginer tout et n'importe quoi. Cependant, cesse de parler à la place des autres. C'est blessant d'être jugée " pitoyable" pour quelque chose que je n'ai pas fait. Je n'arrivais tout simplement pas à t'affronter.

Il me regarde dans les yeux, mais la seule émotion que je perçois chez lui derrière son visage habituel, c'est la déception. Je prends alors la parole pour lui poser une question.

- si ce qui t'intéressait c'était de savoir si je t'avais remplacé, je pense avoir répondu à la question. Dans ce cas, je peux savoir pourquoi tu restes toujours autant déçu ?

Il me regarde fixement dans les yeux sans me donner de réponse. Je penche la tête sur le côté tout en arquant les sourcils pour l'inviter à répondre à ma question.

- t'es vraiment en train de me poser la question ? Demande-t-il énervé.

- je vois que ton ouïe ou ta vieillesse ne s'est pas arrangée avec le temps… Bien évidemment que je te pose la question !  Dans le cas contraire, je ne la poserai pas.

- comment tu le prendrais si je décidais de demander à mourir ? Tu m'avais dit que l'on se retrouverait, mais regarde-toi. Tu en viens à demander la mort devant tes anciens camarades.

- je sais, ce n'était pas très finaud de ma part. J'étais vraiment démoralisée. Ma vie n'avait plus aucun sens. Je ne pouvais plus vous aider, ou bien même me sentir utile.

- je le savais, t'es vraiment un cas.

- il faut bien se donner des objectifs pour survivre, mais j'ai compris que me reposer uniquement sur mes proches pour continuer était une mauvaise idée.

Il me regarde intensément dans les yeux avant de répondre.

- on a tous besoin d'une obsession pour tenir et continuer à avancer.

Quand il dit cette phrase, ça me fait tilt.

- de qui tiens-tu cette phrase ? Demandais-je curieuse.

- Kenny me l'a dit avant de mourir.

Ah… Ai-je mis les pieds dans le plat comme une sombre idiote ?

- et toi ? Quelle est ton obsession ? Demandais-je en me rattrapant de mon erreur.

Pour Ma Survie Et Celle De L'humanité (TOME 2) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant