Aelys
Ce matin, pas de réveil à six heures, et heureusement ! La soirée d'hier a tourné en boucle dans ma tête une bonne partie de la nuit. Évidement, emmitouflée dans ma couette, bien au chaud et en sécurité dans l'obscurité totale de ma chambre, j'avais des millions de choses à dire à Léonard. De la conversation calme et logique, à la conversation violente, mais tellement, tellement efficace, j'ai tout imaginé. Finalité : dans mon esprit je m'en suis sortie comme une cheffe ! Pour ce qui est de la réalité... Disons simplement que je suis heureuse de ne pas travailler aujourd'hui, histoire d'avoir un peu de répit avec tout ça.
Du répit...
Je soupire lourdement en fixant le plafond de ma chambre.
« Je ne suis pas parfait. Pourtant, je sais que jamais, je ne pourrais agir comme il l'a fait. »
Ressasser cette phrase ne correspond pas vraiment à du répit. Pourtant, c'est plus fort que moi, elle revient envahir mon esprit, tel un boomerang, dès que je tente de réfléchir à autre chose. Pire encore, à cause de cette phrase, pour la première fois depuis des mois, je repense à lui. Et ça, ça, ce n'est vraiment pas bon pour moi...
— Hey, s'il te plaît... Attends !
Je me suis bêtement retournée...
— Je voulais te demander un truc, t'as déjà embrassé un inconnu ?
— Euh, non.
— Oh... OK. Moi c'est Ben. Enfin, Benjamin Kellerman, de mon p'tit nom.
— D'accord.
— Et toi, comment tu t'appelles ?
— Aelys, Aelys Parks.
— C'est très joli.
— J'y suis pas pour grand-chose, mais merci.
Il a ri. Cette vanne toute pourri l'a fait rire, pour la handicapée sociale que j'étais, c'était un sacré exploit !
— Du coup, maintenant qu'on se connaît... Tu serais d'accord de m'embrasser ?
Cette fois, c'est moi qui ai ri, un rire nerveux, définitivement. Mais un rire quand même, ce qui l'a encouragé à poursuivre.
— Je vois, tu es dure en affaires, Aelys Parks. Hmm...
Il a croisé les bras sur son torse de jeune homme, en faisant mine de réfléchir quelques secondes :
— Trouvons un compromis, et si je t'invitais au ciné à la place ?
C'est comme ça, que mon premier et unique amour, est entré dans ma vie. Sans préambule, sans même une mise en garde, sur les pouvoirs que je lui accordais en le laissant entrer. Ni sur les dommages qu'il pourrait causer avec ces pouvoirs.
Aujourd'hui, j'ai conscience de la niaiserie de cette anecdote. Pour ma défense, j'avais dix-sept ans, quand ce beau garçon, sensiblement plus âgé, m'a abordé. À l'époque j'étais, comme beaucoup d'ado, mal dans ma peau. Ajoutons à ça que je suis la fille unique d'un militaire, récemment retraité, mais qui a néanmoins été muté pas moins de trente-cinq fois durant ses quarante ans de services, et vous aurez un début d'explication à mes amis inexistants, et mon chavirage complet face à l'attention soudaine de Ben.
Qu'on s'entende, je n'ai pas la moindre rancœur envers mon père par rapport à nos déménagements fréquents. Certes, je n'ai pas d'amis, en revanche, j'ai vécu dans des villes magnifiques, j'ai arpenté trois des cinq continents, et je suis capable de tenir une conversation dans quatre langues différentes. Clairement, je ne me plaindrais pas de ces déménagements !
D'ailleurs, j'aurais dû déménager avec eux cette fois-là, plutôt que d'aménager avec lui.
Sournoisement, un nouveau souvenir, moins ancien, s'immisce dans mon esprit. Je revois Benjamin, dans notre cuisine, son visage angélique qui transpire la colère, tandis que ses doigts sont crispés sur mon portable...
Justement, la sonnerie de mon téléphone m'empêche d'aller au bout de ce souvenir, mais ce retour brutal à la réalité est le bienvenu. Pendant que je me perdais dans le passé, je me rends compte que mon corps, lui, s'est instinctivement contracté, laissant toute sa chaleur le quitter, alors que des larmes s'accumulent aux coins de mes yeux.
— Respire, Aelys. Respire.
Je me focalise sur ma propre voix, bien qu'elle soit cassée et légèrement saccadée.
— Tu ne risques rien. Tout va bien...
Comme s'il avait senti mon angoisse soudaine, Neko saute délicatement sur le lit pour venir frotter sa tête contre la mienne, en ronronnant abondamment. Malgré sa taille, il me réconforte tendrement, tandis que j'extirpe mes mains de la couette, pour pouvoir lui rendre ses câlins.
Je glisse mes doigts dans ses longs poils, de ses épaules à ses flancs, en savourant leur douceur. Son front vient se poser dans le creux de mon nez, m'obligeant à fermer les yeux, alors que je sens les petits poils du bout de ses oreilles me chatouiller juste au-dessus des sourcils. Sans s'en rendre compte – ou peut-être que si ? – il m'aide à m'ancrer dans le présent, à reprendre le dessus.
— Merci mon chat.
Mon téléphone a cessé de sonner il y a moins de deux minutes, pourtant, la musique recommence déjà à envahir la pièce. Ce qui me laisse savoir, sans même regarder l'écran, de qui il s'agit.
Comme si, elle aussi, avait sentie mon angoisse soudaine...
Cette pensée me tire un faible sourire, sachant que la personne en question est actuellement à environ cinq heures de route d'ici.
En même temps, ça ne m'étonnerait qu'à moitié d'apprendre qu'elle a planqué un détecteur de déprime dans mon appart, ou qu'elle a embauché quelqu'un pour m'espionner quand elle n'est pas là...
J'étire mon bras et décroche, sans même ouvrir les yeux, tout en continuant de câliner Neko.
— Salut maman.
— Bonjour mon poisson rouge...
Elle marque une pause de quelques secondes. J'imagine d'ici la ride entre ses yeux qui se creuse, quand elle reprend :
— Tu as une petite voix, tout va bien ?
— J'ai passé une mauvaise nuit.
— Des cauchemars ?
C'est tout comme...
J'inspire un bon coup, avant de commencer le récit de ma soirée d'hier. Des paroles de Léonard, à ma prise de tête en solitaire cette nuit, jusqu'au retour de Ben dans mon esprit ce matin, je n'omets aucun détail. Parce qu'il se trouve que ma mère, bien qu'elle soit la dernière personne à qui je tiens encore tête de temps en temps, est surtout ma plus grande confidente, ma meilleure amie.
Elle ne me coupe pas une seule fois, m'écoutant attentivement et, comme toujours, me dispense de cette fameuse phrase, cassante et terriblement rabaissante : Je te l'avais bien dit ! Parce que oui, s'il y a bien une personne qui pourrait me la balancer en pleine face, c'est elle. Héléna Parks ne peut pas voir Léonard en peinture. À la seconde où elle l'a rencontré, elle m'a mise en garde. Elle le trouve trop égocentrique, trop faux. Néanmoins, après m'avoir stipulé que c'était une très mauvaise idée, elle n'a pas insisté quand j'ai annoncé que je venais au mariage de ma cousine avec lui. D'ailleurs, durant toute cette affreuse journée, elle a fait en sorte de lui tenir la jambe – au figuré, évidemment, elle ne lui a pas réellement tenu la jambe, enfin... Je ne crois pas ! – pour que je puisse avoir quelques moments de sursis.
Pourquoi est ce que c'est plus facile d'être têtue face à elle, plutôt que face aux autres ?
Cette question me traverse l'esprit au cours de mon récit, et la réponse ne se fait pas attendre :
Parce que je sais qu'elle ne me reprochera rien, jamais. Peu importe mes erreurs, elle m'aide à me relever, sans me juger, tandis que si je déçois les autres...
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Be my fatality...
Werewolf« L'âme sœur, chez les lycanthropes, est un concept qui désigne une compatibilité amoureuse et sexuelle qui serait parfaite entre deux individus. L'expression a des définitions variables, mais toutes ramènent à l'idée selon laquelle ces individus on...